Chronique - Guimard: «Le sport ça ne fonctionne pas avec les ordinateurs»
Par François BONNEFOY le 19/03/2022 à 14:55
Cyrille Guimard est de retour sur Cyclism'Actu pour une nouvelle chronique. L'ancien sélectionneur de l'équipe de France a fait le bilan des deux premières grandes courses par étapes de la saison, à savoir Paris-Nice et Tirreno-Adriatico, en revenant notamment sur les performances de Tadej Pogacar, Thibaut Pinot, Christophe Laporte ou encore Remco Evenepoel et Julian Alaphilippe. Il s'est ensuite projeté sur Milan-San Remo, le premier Monument de la saison.
Vidéo - La chronique de Cyrille Guimard avant Milan-San Remo
"La métamorphose de Christophe Laporte..."
Cyrille, qu'est-ce que vous retenez des deux premières grosses courses par étapes de la saison, Paris-Nice et Tirreno-Adriatico ? Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?
La première chose, c'est la métamorphose de Christophe Laporte, dans sa façon de courir et dans son efficacité. On a découvert un autre coureur que celui qu'on connaissait et surtout à un niveau où personne ne l'avait encore vu. Quand il fait sauter tout le monde sur la première étape, il y a peu de coureurs capables de faire ça. D'autre part, il est rentré dans le collectif de son équipe avec une très grande facilité, car on n'ouvre pas la porte comme ça, que ce soit Van Aert ou Roglic, à un coureur qui arrive dans l'équipe et qui n'a pas la même stature qu'eux. Et pourtant, à la première occasion où il se retrouve devant, ils lui laisssent la victoire. C'est quelque chose d'important qui le met dans un positionnement très intéressant au sein de l'équipe. Aujourd'hui, il n'est plus le coureur qui vient d'arriver et qui a sa place à faire, car en l'espace de deux mois, il a pris sa place. Il est incontestable que maintenant, il fait partie des cadres, et c'est très impressionnant. Ça veut dire énormément de choses...
"Pogacar est impressionnant et en plus, il ne doute pas"
Sinon, on a vu les deux Slovènes Primoz Roglic et Tadej Pogacar toujours au top. Pogacar a été impressionnant sur Tirreno-Adriatico, et Patrick Lefevere a dit de lui que c'était le nouveau Eddy Merckx. Êtes-vous d'accord avec cette comparaison ?
Les deux Slovènes dominent depuis trois ans le cyclisme international. Pogacar est impressionnant, mais sa progression est aussi très linéaire, et en plus il ne doute pas. À partir du moment où il ne doute pas, il tente tout. Parfois on peut se dire que c'est du suicide, comme sur les Strade Bianche, mais au final ça a fonctionné. C'est la force des coureurs qui ne doutent pas, à l'image de ce que faisait Bernard Hinault à son époque. Je ne veux pas qu'on compare Pogacar à Merckx pour une raison très simple, c'est qu'il est toujours affable, il a toujours un grand sourire, il ne se plaint pas de ses malheurs et en course il est toujours correct, ce qui ne veut pas dire que Merckx ne l'était pas d'ailleurs. Mais Pogacar a cette fraîcheur, une bonne bouille, après l'arrivée il est disponible... alors que c'était assez rare de voir Merckx sourire, même s'il gagnait énormément de courses.
En revanche, on a vu un Remco Evenepoel en difficulté sur Tirreno. Est-ce que ça peut remettre en cause sa capacité à gagner un Grand Tour ?
Ce n'est pas parce qu'il est un petit peu en dedans sur une course d'une semaine qu'il faut tout remettre en cause d'un seul coup. Si ça se trouve, demain il va gagner et là tous les avis vont changer. Laissons le venir tranquillement. J'ai vu qu'il s'était fait attaquer par Johan Museeuw, je ne vois pas très bien pourquoi, mais bon... Je pense qu'il a aussi une opposition en Belgique qui doit le déstabiliser, mais ça fait partie de la vie. Il faut être capable de supporter ce genre de choses, comme c'est le cas de Pogacar ou Roglic. Pour l'instant, Evenepoel ne fait pas un mauvais début de saison. Il a déjà assumé une partie de son contrat, il a beaucoup gagné, donc ce n'est pas parce qu'il est un cran en-dessous sur une course... C'est pareil pour Julian Alaphilippe. Regardons sur le temps, ne soyons pas pessimiste pour Evenepoel, en tout cas je ne le suis pas.
"Pinot 8e de Tirreno, c'est une performance moyenne"
Vous évoquez Julian Alaphilippe. Il ne réalise pas un très bon début de saison et il a dû déclarer forfait pour Milan-San Remo. Êtes-vous inquiet pour lui ?
Il va rater Milan-San Remo, c'est une petite déception, mais de temps en temps avoir une petite déception par rapport à un objectif peut faire du bien à un champion. Je ne me fais pas de souci pour Julian, comme je ne me fais pas de souci pour Evenepoel et pour leur équipe.
Un Français a retrouvé des couleurs la semaine dernière, c'est Thibaut Pinot, qui a fini 8e de Tirreno. Que pensez-vous de sa performance ?
Thibaut Pinot qui finit 8e de Tirreno-Adriatico... N'oublions pas que c'est quelqu'un qui a terminé sur le podium du Tour de France. C'est donc une performance moyenne dans la mesure où il n'a pas été offensif, jamais dans le combat et il vient faire 8e en filochant toute la course. Il n'y a rien d'un exploit, il est à un niveau moyen. Je pense que cette 8e place va lui redonner de l'envie, c'est une chose, mais ne parlons pas de sa performance comme d'une performance extraordinaire. Je suis désolé d'être aussi objectif, mais à partir du moment où vous ne crevez pas, ne tombez pas et que vous finissez dans le premier groupe, vous finissez dans le top 10, d'autant qu'il y a eu trois ou quatre abandons importants. 8e, c'est une performance très moyenne compte tenu de son acitivté pendant toute la course. Il a été inactif, mais il a été présent, c'est déjà bien pour lui.
"Les favoris de Milan-San Remo ? Van Aert et Pogacar"
Pour conclure, un pronostic pour Milan-San Remo ?
C'est la course la plus ouverte, parce qu'il y a 50 coureurs capables de gagner au départ, mais aussi la course la plus fermée, parce que quand on regarde le palmarès, ce sont toujours les mêmes qui gagnent ou qu'on retrouve sur le podium à quelques exceptions près. Aujourd'hui, Alaphilippe n'étant pas là, il y a deux gros favoris qui sont Van Aert et Pogacar. Pogacar sait tout faire, il peut partir à 50 kilomètres de l'arrivée, à 3 kilomètres ou à 500 mètres, et selon les coureurs qui restent il pourrait même gagner au sprint. La course va tourner autour de Van Aert et Pogacar, et après... Si on analyse tout bien et qu'on prend toutes les composantes en compte, on revient aux deux noms que j'ai cités, à savoir Van Aert et Pogacar. Sauf que le sport, ça ne fonctionne pas avec les ordinateurs.