INTERVIEW - Yaël Joalland : «Cette chute... j'ai été sacrément touché»
Yaël Joalland n’oubliera jamais l’année 2024… et ce n’est malheureusement pas pour une raison positive. Le 28 janvier dernier, à l’occasion de sa première course de l’année, le jeune coureur de 23 ans (il en a désormais 24 depuis le 20 septembre) est passé très proche de la mort suite à une très grave chute survenue dans le final du Grand Prix Cycliste de Marseille La Marseillaise. Cassé de partout, passé par des moments extrêmement difficiles, tant sur le plan physique que psychologique, le grimpeur a connu le pire… mais sa persévérance, sa force de caractère, ainsi que le soutien de ses proches et de son équipe, lui ont permis de se remettre sur pied, et c’est sur le vélo qu’il a terminé l’exercice 2024. À l’occasion de la soirée de fin de saison du CIC U Nantes Atlantique, organisée il y a quelques jours au siège du CIC Ouest, Cyclism’Actu a pu converser avec l’un des grands espoirs de l’équipe continentale nantaise. L’occasion de constater qu’il n’a rien perdu de son ambition et qu’il compte bien, si son corps le lui permet, très vite remontrer de quoi il est capable sur un vélo. Entretien.
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"C’est moi qui suis sorti de cette chute avec le plus de séquelles, c’est sûrement le destin"
Votre saison 2024 a été marquée par votre terrible chute sur les routes du Grand Prix Cyclisme de Marseille La Marseillaise. Comment sortez-vous de cette année et gardez-vous des souvenirs de votre accident ?
Je n’aurais jamais pu imaginer que 2024 se passe comme ça. Cette chute, c’est un moment dont je me rappellerai toute ma vie. J’ai été sacrément touché, tous mes proches, et notamment ma copine, ont eu vachement peur. Fracture de quatre vertèbres, mais aussi le menton, la mâchoire, le nez… ça a été terrible. Il a fallu beaucoup patienter, c’est vraiment le maître-mot suite à cet accident.
Pour ce qui est de ma chute, elle a eu lieu à 15 kilomètres de l’arrivée, dans la descente de la route des Crêtes, une descente trop dangereuse et pas assez signalée. Un coureur de la Tudor est tombé quatre positions devant moi, j’ai certainement voulu l’éviter par la gauche - j’ai un total trou noir concernant ce moment - et j’ai percuté un mur. C’est moi qui suis sorti de cette chute avec le plus de séquelles, c’est sûrement le destin. Heureusement, Axel Zingle, l’un de mes meilleurs amis, m’a vite porté secours, et je le remercierai toute ma vie car on ne sait pas ce qu’il aurait pu se passer…
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Quel a été votre parcours après l’accident ?
J’ai passé un mois à l’hôpital, puis je suis allé en centre de rééducation pendant deux mois. Ça a été très long, mais ma copine m’a apporté un grand soutien, et heureusement car quand on est allongé dans un lit, tout seul, c’est vraiment dur. Je suis ensuite rentré chez moi, où j’ai continué la rééducation. Il y a eu des hauts et des bas pendant cette période, ça a été une épreuve dure, mais je pense que ça m’a renforcé. J’ai pu faire trois courses en fin de saison (Grand Prix de Fourmies / La Voix du Nord, Grand Prix d’Isbergues / Pas de Calais et Paris-Chauny, NDLR), trois courses que j’ai réussi à finir dans le peloton, mais j’ai encore des douleurs au dos, bien que ça ait énormément progressé sur le dernier mois.
Je vais me refaire opérer dans un mois (l'interview a été réalisée le 10 octobre, NDLR) pour enlever le matériel de mon dos, et j’espère que ça va encore me permettre de faire une belle avancée, que toutes mes douleurs dorsales vont disparaître et que je vais pouvoir retrouver mon niveau, voire mieux, l’année prochaine. Je suis encore jeune, j’ai encore envie de prouver mes capacités dans le cyclisme, et je pense que j’ai des choses à montrer. J’ai la rage et j’ai envie de rattraper le temps perdu. L’objectif, c’est de faire une belle saison 2025, puis d’intégrer une meilleure structure.
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"En juillet ou en août, je ne pensais pas refaire des courses cette année"
Allez-vous continuer avec le CIC U Nantes Atlantique ?
Oui, je serai toujours dans cette équipe l’année prochaine. Ça n’a pas été facile pour les dirigeants non plus, ils avaient beaucoup de questionnements sur mon état physique, sur le fait que je puisse retrouver mon niveau ou non, sur la façon dont j'allais me comporter en course… C’est pour cela que c’était important pour moi et pour eux de reprendre la compétition avant la fin de la saison 2024.
En juillet ou en août, je ne pensais pas refaire des courses cette année, mais ça a été tellement vite sur cette période que j’ai pu recourir, ce qui m’a permis et a permis à l’équipe de valider des étapes. L’équipe voulait absolument que je reprenne afin d’être sûre de pouvoir compter sur moi l’année prochaine, et à l’issue de ces trois courses, les dirigeants ont compris qu’ils pouvaient renouveler mon contrat pour 2025.
"Certains coureurs ne prennent pas de risques calculés"
Comment vous êtes-vous senti au sein du peloton lors de vos trois courses disputées en fin de saison ?
J’avais énormément de questions et un peu d’appréhension avant de reprendre, j’avais l’impression que ça faisait une éternité, au moins 5 ou 10 ans, que je n’avais pas couru. Je ne savais pas si j’allais avoir peur dans les virages, dans les descentes, lorsqu’il fallait frotter au sein du peloton… Au final, ça a été dur, je n’ai pas encore fait assez de courses pour retrouver tous les automatismes, mais je me suis énormément et positivement surpris, comme je pense avoir surpris mes dirigeants, mes coéquipiers et tous les amis que j’ai dans le peloton. Physiquement, j’arrivais à suivre, alors que je ne m’attendais pas à être capable de finir les courses. Ça a été vraiment trois courses exceptionnelles pour moi, et maintenant cap sur 2025. Ça ne va être que du plus pour moi, cette chute m’a fait énormément relativiser.
Vous qui avez lourdement chuté en course, comment analysez-vous l’évolution croissante du nombre de chutes graves depuis quelques mois ?
Vu que je n’ai quasiment pas couru de l’année, j’ai plus regardé les courses à la télé, et j’ai en effet pu voir énormément de chutes. C’est clair que c’est de pire en pire de ce côté-là, mais il faut aussi se rendre compte que ça roule de plus en plus vite et que les enjeux sont de plus en plus importants. Chaque membre du peloton sait qu’une course peut changer une carrière, donc tout le monde prend des risques, mais le souci, c’est que certains ne prennent pas de risques calculés. Je pense que ces coureurs-là, ils n’ont pas vécu ce que moi j’ai vécu par exemple cette saison. Il faut se rendre compte que la vie est longue, qu’on a une famille à construire après notre carrière, qu’on va retravailler, et tout ça, on ne peut pas le faire avec des séquelles. Il faut avoir conscience des dangers.
L’UCI va peut-être essayer de mettre en place des choses pour essayer de freiner un peu les mecs, et je sais qu’ils travaillent depuis de nombreuses années sur des sujets comme la caféine, les casques ou des équipements de protection. Ça serait bien que ça se mette en place rapidement en tout cas. Et quand je vois les décès qu’il y a eu cette année, je me dis que dans mon malheur, j’ai énormément de chance d’être encore là. Je suis un miraculé, comme me le dit ma copine.