INTERVIEW - Laurent Dufaux: «On s'est fait un petit nom dans le vélo français»
Actuellement directeur sportif de la formation Elite Fondation Cycling Team, le Suisse Laurent Dufaux aura eu un palmarès fourni lorsqu'il évoluait chez les professionnels. En effet, le natif de Montreux a remporté pas moins de 31 succès en tant que coureur (de 1990 à 2004). Parmi ses victoires les plus marquantes, on peut citer ses sacres au classement général du Critérium du Dauphiné en 1993 et 1994, une victoire d'étape sur le Tour d'Espagne en 1996 ou encore son succès au général du Tour de Romandie 1998 - agrémentés de deux 4e place sur le Tour de France. Au micro de Cyclism'Actu, l'ancien fidèle lieutenant de Richard Virenque est revenu sur sa carrière et son projet avec Elite Fondation, avant d'aborder en détail l'évolution du cyclisme actuel, la passation de pouvoir de Patrick Lefevere (pour qui il a couru en 2004), l'état du cyclisme suisse et bien d'autres sujets.
Vidéo - L'interview complète de Laurent Dufaux
"Elite Fondation... On a crée cette équipe en 2021"
Cela fait exactement 20 ans que vous avez pris votre retraite sportive... pour ceux qui vous connaissent pas, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Effectivement, ça fait 20 ans que j'ai terminé ma carrière cycliste professionnelle. J'ai débuté ma carrière en 1991 dans l'équipe suisse Helvetia, donc j'ai fait 14 ans au niveau professionnel pour terminer en 2004 dans l'équipe de Quick-Step, qui était bien sûr dirigée par Patrick Lefevere, aux côtés de Richard Virenque. J'ai notamment gagné deux fois le Dauphiné, terminé deux fois quatrième du Tour de France, deux fois sur le podium du Tour d'Espagne, une manche Coupe du Monde, le Grand Prix de Zurich, donc quand même un palmarès assez sympathique. Je suis toujours resté très proche du milieu cyclisme en m'impliquant pour la passion qui m'anime, pour la transmettre un petit peu aux jeunes et puis surtout redonner à ce sport ce qu'il m'a apporté durant toutes ces années.
Vous êtes actuellement directeur sportif chez Elite Fondation, une équipe suisse, quel est votre rôle et quel est le projet de cette formation ?
Je suis le directeur sportif de cette formation. On a créé cette équipe en 2021 sur des bases déjà solides. En fait il y avait un centre de formation, le premier centre de formation suisse qui a été créé à Genève, qui est dirigé par Loïc Huguen Tobler, puis avec une équipe féminine en collaboration avec l'UCI... et ils ont créé une équipe amateur en 2020. Finalement, en 2021, on a décidé de créer une structure de niveau élite nationale. En Suisse, il manque ce genre d'infrastructures pour accueillir les jeunes, donc avec un comité directeur on a monté ce projet. Aujourd'hui c'est un peu notre chemin, avec bien sûr un programme qui est très orienté sur les courses en France, donc nous on a pour but de former et d'encadrer les jeunes coureurs à partir de 18 ans, à la sortie des juniors, à partir de leur premier année U23. Leur offrir bien sûr une infrastructure au niveau matériel, au niveau suivi d'entraînement, et puis surtout leur offrir un programme de course, c'est ce qui nous manque énormément en Suisse aujourd'hui, pour leur permettre de progresser et de faire face un petit peu à la concurrence étrangère. Bien sûr avec le but ultime c'est d'essayer d'avoir un de nos coureurs qui puisse passer chez les professionnels. On sait qu'aujourd'hui c'est devenu assez compliqué, le cyclisme a beaucoup évolué, a beaucoup changé, c'est vrai qu'on va chercher les jeunes, toujours plus jeunes, presque à partir des cadets, des juniors, donc nous on veut aussi donner une chance à des coureurs un tout petit peu plus âgés, qui doivent aussi faire leur apprentissage dans la vie de tous les jours, des études, et puis mener à bien un peu les deux choses.
Et pourquoi justement ce calendrier centré sur les courses françaises, il manque de courses de ce haut niveau là en Suisse ?
Effectivement, alors en plus de manquer de structures d'équipes comme la nôtre, il manque surtout un programme de compétition qui permet justement aux coureurs de progresser. Sur l'ensemble du calendrier national suisse du mois de mars au mois de septembre, au niveau de courses élite nationale, on a peut-être à peine une dizaine de courses. Donc notre programme prioritaire c'est à 80% sur le territoire français. On a aussi un gros programme au niveau calendrier belge, également italien, et l'idée c'est de pouvoir vraiment offrir à nos coureurs la possibilité d'aller affronter une belle concurrence sur des courses quand même bien relevées. En France on a le Tour du Beaujolais, le Tour de Saône-et-Loire, le Tour du Nivernais... donc énormément de belles courses qui nous ont aussi souri ces dernières saisons. Et puis c'est vrai qu'aujourd'hui on s'est fait un petit nom dans le cyclisme français, parce qu'on est l'équivalent d'une belle DN1 de division nationale française au niveau structure, et puis le but c'est d'aller pouvoir concurrencer ces équipes là et jouer des victoires également.
"Les coureurs suisses doit souvent aller dans des équipes étrangères..."
Est-ce qu'à court ou long terme il y a un projet de montée de division et d'aller pourquoi pas toucher la Continental UCI ?
Alors c'était en discussion. C'est vrai qu'on a démarré avec un budget aux alentours de 150 000 francs la première année en 2021, ensuite on est monté à peu plus de 200 000, 250 000 euros, et au fil des années on a progressé avec ce budget là. On arrive maintenant dans des budgets qui pourraient nous permettre clairement de monter au niveau Continental, parce qu'on peut dire qu'on est structuré comme une Continental, on n'est pas rattaché à une WorldTour ou à une ProTeam au niveau développement, et puis c'est vrai que c'était toujours la question de savoir est-ce que ça vaut la peine de monter sur la troisième division UCI. Et puis finalement on reste convaincu qu'il vaut mieux augmenter la structure, se professionnaliser, mais en restant à ce statut amateur qui nous donne justement l'accessibilité à un bon nombre de courses de très très bons niveaux, qui correspond aussi au niveau de nos coureurs, pour s'affirmer à ce niveau là, pour essayer de progresser. Bien sûr on doit solliciter des candidatures de courses UCI, mais aujourd'hui c'est devenu très compliqué d'être invité sur des courses, il y a beaucoup de concurrence. On le fait déjà, on a envoyé plusieurs dossiers dans des courses UCI, que ce soit en France ou en Belgique, et on voit que souvent on est confronté à cette concurrence. La priorité va aux équipes de Continental Développement qui sont rattachées à des WorldTour et nous des fois on passe un petit peu à la trappe. Mais on a déjà un calendrier qui est très très riche, donc on va continuer sur cette optique là, et peut-être plutôt viser dans les années à venir, une montée en deuxième division, donc de créer une vraie ProTeam, mais c'est encore de la musique d'avenir on peut dire.
Justement, en France on sait qu'il y a un problème avec les DN1, il y a eu toute une confrontation entre la LNC et la FFC, est-ce que c'est aussi le cas en Suisse ?
Non on peut dire on est loin de tout ça, en Suisse on manque clairement de structure de niveau national. On a bien sûr la toute belle équipe Tudor, qui est en train de monter dans la hiérarchie et qui gentiment va arriver au niveau WorldTour... et après il y a d'autres plus petites équipes élites en Suisse, mais qui se limitent peut-être à 5-6 teams, pas plus. Les coureurs suisses doivent alors souvent aller dans des équipes étrangères parce qu'ils n'ont pas trop le choix s'ils veulent se donner les moyens de progresser.
Pour revenir sur un sujet un peu plus général, 20 ans après que vous ayez pris votre retraite, quels sont les changements majeurs que vous avez remarqué dans le monde du cyclisme ?
C'est déjà l'évolution à tout point de vue, au niveau des technologies, du matériel, de la manière d'aborder les saisons, les camps d'entraînement... beaucoup de choses ont évolué. Heureusement que le cyclisme évolue avec son temps, comme dans d'autres sports. Après c'est vrai qu'il y a beaucoup de sujets, aujourd'hui on voit qu'on va toujours chercher plus tôt les coureurs, beaucoup plus vite, on a des recruteurs... Moi je suis aussi un peu en contact avec certaines personnes dans le milieu qui m'ont aussi un petit peu sollicité, si au cas où je voyais un coureur qui sortait du lot très jeune, il fallait peut-être le signaler. Donc on voit qu'on va maintenant détecter les jeunes beaucoup plus tôt, parce que tout s'est professionnalisé beaucoup plus vite auprès des jeunes, tout progresse plus vite en fait, donc le niveau chez les jeunes est beaucoup plus élevé qu'il y a quelques années. Mais il y a aussi bien sûr un danger parce qu'il faut garder quand même toujours la notion du plaisir, c'est un petit peu notre philosophie, et ce qu'on veut faire comprendre à nos coureurs. Évidemment on ne doit pas négliger la vie professionnelle, donc il faut quand même avoir une formation en parallèle de notre passion. Et puis de laisser un peu le temps au temps, parce qu'il y aura aussi beaucoup plus de déchets ou des carrières seront aussi un peu plus courtes. Des fois on voit chez nos coureurs dès qu'ils arrivent à 22-23 ans, ils sont presque déjà pour certains démotivés parce qu'ils voient à quelle vitesse maintenant ça se passe, que finalement les coureurs qui ont 18-19 ans, ils sont quasiment tous déjà professionnels. On a un jeune coureur qui vient de signer dans l'équipe Visma U19, Antoine Salamin, ça c'est peut-être un jeune dont on va entendre parler dans les années à venir, c'est peut-être le nouveau Marc Hirschi, mais voilà c'est un jeune qui sort de cadet et qui a tout gagné, c'est un bel exemple. Il vient de signer dans une structure qui va lui permettre d'avoir un fil rouge, et si tout va bien, il y a le WorldTour qui lui tend les bras... donc aujourd'hui on voit qu'on va chercher les jeunes toujours plus vite.
"Il nous manque un coureur de courses à étapes, on avait Gino Mader, mais..."
Vous étiez un peu la tête d'affiche du cyclisme suisse dans les années 90, début des années 2000, ensuite on a eu bien sûr eu le grand Fabian Cancellara, et maintenant les Hirschi, Küng, Schmid, Bissegger.. comment vous estimez cette nouvelle génération de cyclistes suisses ?
Je pense qu'on a un cyclisme suisse très riche en qualité, c'est vrai que malgré le manque d'équipes, de courses, on a la chance d'avoir une équipe nationale qui fait, un gros travail, un programme pour développer les jeunes coureurs avec toutes les courses du calendrier U23, U19 avec les Coupes des Nations et autres, et puis on voit que ces dernières années, les tout bons coureurs comme Hirschi, comme Bissegger, comme Mauro Schmitt, Robin Froidevaux, Yannis Voisard, c'est tous des coureurs plus ou moins de la même génération et ce sont des coureurs qui sont très orientés aussi sur les courses d'un jour, qui performent sur les courses d'un jour. Peut-être qu'il nous manque un coureur plus de courses par étapes, on l'avait malheureusement avec le regretté Gino Mader qui nous a quitté malheureusement il y a un peu plus d'une année, c'était peut-être le coureur qui avait les plus grandes caractéristiques pour pouvoir aller gagner un Tour de Romandie, un Tour de Suisse, et même jouer les premiers rôles sur des courses de trois semaines, et là aujourd'hui c'est vrai qu'il nous manque peut-être ce coureur. mais il ne faut pas oublier que la plupart de ces très bons coureurs suisses sont aussi dans des grosses formations, où souvent ils sont là pour aider leurs leaders, aujourd'hui il y a la hiérarchie qui a été posée, et quand on est au départ d'un Tour de France aux côtés d'un Tadej Pogacar, c'est 100% pour son leader. Automatiquement, on met ses propres chances personnelles de côté, mais je trouve qu'on a quand même un cyclisme qui doit encore évoluer. Je pense que Tudor fait un excellent travail de formation, et on voit que chaque année ils montent d'un étage, et il faut espérer que dans les années à venir on ait encore des coureurs qui vont se révéler, comme Jan Christen par exemple.