INTERVIEW - Yoann Offredo : «Je suis malade, je perds la vue mais... »
Yoann Offredo se confie au micro de Cyclism'Actu. L’ancien coureur, devenu consultant sur France Télévisions, a révélé il y a quelques temps déjà être touché par une maladie auto-immune qui touche ses yeux. Cycliste professionnel entre 2008 et 2020, Yoann Offredo a passé la majeure partie de sa carrière au sein de la FDJ, avant de rejoindre Wanty-Gobert en 2017, équipe au sein de laquelle il a couru jusqu'à sa retraite fin 2020. A l'occasion d'une conférence de presse organisée ce lundi 27 janvier à Paris où Intermarché a renouvelé son partenariat avec l’équipe Intermarché-Wanty jusqu’en 2028, Yoann Offredo en a profité pour parler vélo et évoquer ses projets du moment. Entretien.
Vidéo - Yoann Offredo donne de ses nouvelles sur Cyclism'Actu
Yoann Offredo, tous nos meilleurs voeux. On vous retrouve pour cette annonce Intermarché-Wanty, vous avez re-signé avec l'équipe c'est ça ? (rires)
J'aurais pu, j'aurais pu parce que je pense que Thierry (Cotillard) et Jean-François (Bourlart) ont bien résumé le truc, c'est une famille. Ils parlaient de proximité avec Intermarché, où il y en a un tous les dix kilomètres, mais je pense qu'il y a, et tu le sais très bien, cette espèce d'esprit de famille dans cette équipe. Et quand tu la quittes, en fait, tu restes toujours un peu, donc même si je n'ai pas re-signé, je reste un fervent supporter de l'équipe.
Tu connais bien cette équipe, tu l'as vue évoluer... Quelle évolution, tu aurais cru il y a 4-5 ans qu'elle en arrive là ?
Moi, je n'y aurais pas forcément cru, mais par contre, je croyais en la détermination de Jean-François Bourlard, de Christophe Wanty, de tout le monde, de toute l'équipe et de tous les sponsors. Quand on avait reçu Biniam sur le Tour l'année dernière en Italie, quand il gagne sa première étape, j'étais vraiment ému pour tout l'ensemble de l'équipe, car c'est plus qu'une victoire sur le Tour, c'est plus qu'une évolution de l'équipe, c'est se dire que quand tu veux quelque chose, tu peux le faire, et il faut se donner les moyens. Mais par contre, quand tu as un projet, ça veut dire que tu peux être un club de 2ème, 3ème division, et petit à petit passer les échelons, et à force de conviction, à force d'aller voir des sponsors, et puis de montrer aussi ce rapport que tu as et tes valeurs, d'arriver là où ils sont aujourd'hui, c'est une juste récompense.
C'est leur saison 2024 avec ce maillot vert, entre autres, de Biniam Girmay qui déclenche tout pour toi ?
Pour moi, oui, je pense que Biniam a fait beaucoup de choses, beaucoup de bien à l'équipe, mais en fait, dès l'instant où on est arrivé sur le Tour de France (tu as vu, je dis « on »), il y avait cette volonté de montrer le maillot. Alors certes, avec des budgets qui sont bien inférieurs aux autres, et puis avec des coureurs aussi avec des compétences et des qualités qui, comme moi, n'étaient pas en capacité d'aller gagner sur le Tour, mais de faire des échappées, de montrer le maillot... Et c'est aussi le système économique du vélo.
Et aujourd'hui, avec la victoire de Biniam, c'était plus que du vélo, c'est un message sur l'ouverture, un message sur l'abnégation, sur la résilience, sur plein de choses, ne serait-ce que sur la carrière de Bini. Il s'est mis en avant rapidement à Gand-Wevelgem, et puis après, il a eu un coup de moins bien, et puis tout de suite, les gens se sont un peu écartés de lui, en disant « oh, finalement, on a parié un peu trop gros sur lui ». Mais non, quand il vient gagner sur le Tour, tout le monde vient faire une accolade, on savait, mais oui, oui, on savait, mais pas tout le monde savait.
Comment tu expliques qu'en France, on s'inquiète quelque peu - tu as pu lire notamment Emmanuel Hubert et son inquiétude pour Arkéa-B&B Hotels - et puis là, on voit Intermarché, qui est quand même à la base français, et qui se retrouve avec une équipe belge... on ne sait pas faire en France ?
Si, on sait faire, puisque Vincent Lavenu l'a très bien fait avec AG2R pendant des années, je pense aussi à l'équipe Cofidis, qui est là depuis très longtemps, Jean-René Bernodeau, Marc Madiot avec la Française des Jeux, et désormais avec Groupama... Mais c'est vrai qu'il y a eu des questions qui ont été soulevées, c'est celle du salary cap, on ne peut pas rivaliser quand on est une équipe française, qu'on doit payer des charges, et qu'il y a une législation et un code du travail qui est en vigueur, qu'il n'y a pas forcément à l'étranger. Donc forcément, on joue au même jeu, mais pas forcément avec les mêmes règles, et ça, ce n'est pas évident.
D'un point de vue sport, on repart sur les mêmes bases en 2025 qu'en 2024, comment sens-tu cette saison ?
Je suis très impatient de voir comment ça se passe, puisqu'il y a différentes données qui rentrent dans l'équation à chaque fois. Tu as des coureurs qui sortent un peu de nulle part, ça a été le cas de ces dernières années, et surtout, moi, ce qui m'interpelle, c'est que le cyclisme n'est plus stéréotypé comme il l'était avant. Tu parles d'une course comme Milan-Sanremo, tu te disais, voilà, c'est une course qui, petit à petit, fait un écrémage par l'arrière, et ensuite, tout se fait dans la Cipressa et le Poggio. Mais non, maintenant, on a des coureurs qui sont capables, comme Pogacar, d'attaquer à 80 km de l'arrivée. Un mec comme Remco Evenepoel, qui a fait un super Tour de France, qui va montrer, je pense, encore plus de quoi il est capable cette année. Et finalement, on a des classiques qui vont être hyper intéressantes, et puis des grands tours qui vont l'être encore plus.
Si Tadej Pogacar domine autant début 2025 comme il a dominé en 2024, on va vite se faire chier, non ?
En fait, je suis un peu mitigé sur le « se faire chier ». C'est vrai que parfois, je me dis, oui, effectivement, c'est un peu… il gagne tout sur le Tour, il ne laisse rien à personne, mais en même temps, je me dis, on assiste quand même à un truc incroyable. Avec ce qu'il fait, tu ne peux pas te faire chier quand tu le vois attaquer à 80 km de l'arrivée. Alors oui, effectivement, c'est un peu biaisé, mais c'est aux autres équipes aussi de jouer avec ça. Quand tu vois le camion et la Control room de la Visma, même s'ils ne l'utilisent plus, je pense qu'on a bien étudié comment ça marchait ailleurs, comment ça fonctionnait, et puis j'espère qu'on aura de la concurrence à la hauteur du talent de Pogacar.
S'il y a un truc, un truc que tu voudrais vivre en 2025, que tu n'as pas ressenti, ce serait quoi ?
On a été gâtés sur le Tour. Franchement, on a eu un début de Tour de France, entre la victoire de Romain Bardet, celle de Kevin Vauquelin, celle de Biniam, c'était quand même exceptionnel. Moi, j'aimerais qu'un Français gagne une classique. Moi, j'aimerais bien Paris-Roubaix, un truc comme ça. Parce que je me souviens du discours de Marc (Madiot) qui disait « Ici, on est chez nous ». Mais c'est vrai qu'on a envie qu'il y ait cette relève, mais pour qu'il y ait cette relève, il faut qu'il y ait ce système, justement, où tu as des écoles de cyclisme et qu'on forme des jeunes coureurs et qu'on les emmène vers le haut. En l'occurrence, j'ai l'impression que c'est un peu compliqué. C'est de plus en plus compliqué de trouver des bénévoles, c'est de plus en plus compliqué de trouver des financements pour les clubs amateurs. Si tu veux qu'il y ait un bon pro, il faut qu'il y ait des bons amateurs, et ça, c'est compliqué.
Sinon, d'un point de vue personnel, que devient Yoann Offredo ?
Yoann Offredo est malade. Il a une maladie auto-immune. Je suis en train de perdre un peu la vue, mais je me soigne. Je me suis remis à faire du sport de manière quotidienne pour ma santé. Je fais plein de projets. J'aide beaucoup les autres, puisque dans ma carrière, il y en a qui m'ont aidé. Maintenant, je passe beaucoup de temps à aider des associations. Je travaille avec quelques agences de communication sur des activations de marques. Je suis toujours avec France Télévisions pour les prochaines années.
Toujours sur le Tour avec France Télé ?
Oui, j'ai une quarantaine de jours avec France Télévisions. Je suis en train de développer un projet qui n'est plus un projet. C'est une série où je vais rencontrer des gens qui ont connu dans leur carrière un moment de "down", un moment de chute. Ce qui arrive dans la vie de tous les jours, à tout un chacun. La maladie, une séparation, parfois une maladie très grave. Comment ils se sont relevés ? Avec quels moyens ? Avec quels leviers ? J'ai rencontré Alexis Hanquinquant dans un premier temps, Kevin Rolland et Cyrille Noël. Ils m'ont tous partagé cette volonté de, quand tu es en bas, cette capacité que tu as à te relever. J'ai trouvé leur discours tellement inspirant que je me suis dit qu'il ne faudrait pas qu'ils m'inspirent que moi et qu'ils inspirent le plus grand nombre. Là, ce sera mon gros projet de 2025.
Toujours un battant ?
Oui, on essaye. Mais pas tout le temps. Il y a des fois où tu as envie de baisser les armes. Comme avec la maladie, je pense que c'est exactement pareil. Souvent, je repense à des étapes du Tour de France où j'étais dernier. Je me dis que je vais abandonner. De toute façon, ça sert à quoi ? Avec la maladie, parfois, c'est un peu ça. Tu te dis à quoi bon ? Finalement, tu repenses à ces trucs-là et tu penses surtout à l'arrivée sur les Champs-Elysées. Aujourd'hui, on est sur les Champs. C'est un lieu important. Pour moi, il l'est d'autant plus que quand j'ai terminé le Tour en 2019 en avant-dernière position, c'était de me dire que je repense à tout ce qui s'est passé, aux moments où j'aurais pu abandonner. Je pense que dans la maladie ou dans les épreuves de vie de tous les jours, c'est un peu ça. Le vélo, c'est un peu plus que du vélo. C'est ce qui se passe dans la vie. Des hauts, des bas, des descentes, des montées, du vent de face, du vent de dos... Voilà.
Toujours la niaque pour 2025 ?
Oui, la niaque, à mort !