Interview - Stephen Roche : «Tadej Pogacar ne semble pas avoir de limites»
Si les plus jeunes connaissent sans doute son fils Nicolas ou son neveu Dan Martin, Stephen Roche est sans aucun doute l'un des coureurs Irlandais les plus connus de l'histoire. Auteur d'une année 1987 historique avec le triplé Tour d'Italie - Tour de France - Championnats du Monde, Roche est le seul à avoir réalisé cet exploit avec Eddy Merckx (en 1974). 37 ans après, un autre coureur pourrait rejoindre ce cercle très fermé, en la présence de Tadej Pogacar (UAE Team Emirates), qui vient tout juste de remporter le Giro et qui va s'aligner sur le Tour et les Mondiaux en tant que favori. Au micro de Cyclism'Actu, Stephen Roche est revenu sur ce Tour d'Italie, sur la possibilité de voir Pogacar le rejoindre au palmarès, mais également sur son actualité personnelle. Bref, 20 minutes de discussion avec l'Irlandais à regarder ou à lire ci-dessous !
Vidéo - Stephen Roche au micro de Cyclism'Actu
Bonjour Stephen ! Pour commencer, est-ce que vous pouvez vous présenter pour les plus jeunes ou les gens qui ne vous connaissent pas ?
J'ai couru dans les années 1980-1990. J'ai gagné le Giro, le Tour de France et les Championnats du Monde en 1987. Mais ça fait maintenant quelques années que je suis à la retraite.
On ne vous voit plus trop dans les médias ces derniers temps, qu’est ce que vous faites de votre vie ?
J'ai fait pas mal de choses à droite, à gauche. Je suis notamment parti à Budapest pour aider les Hongrois à préparer le Grand Départ du Giro 2023. Ensuite, j'ai été consultant pour le Tour de Hongrie. On a également travaillé sur un vélodrome à Budapest. Je travaille toujours dans le vélo, mais à une plus petite échelle. En Hongrie, le vélo est très important, même s'il n'y a pas de grands champions à part Attila Valter.
Explaining the cycling iceberg: The triple crown of Stephen Roche. Part 1: Marmolada Massacre. Roche betrays Visentini, fans sprit rice & punch him. 1/26#cyclingiceberg pic.twitter.com/N9Fkyz9CJI
— Noah van Putten (@NoahvPutten) May 15, 2024
Pour revenir à l’actualité vélo et donc au Tour d’Italie, qu’est ce que vous retenez de ces trois semaines de course ?
Pogacar est très fort (rires). A chaque fois qu'il passait la 6e, tous les autres étaient bloqués en 5e. Mais ce n'est pas sa faute, il n'y avait pas assez d'opposition face à lui. Ce qui est bien pour lui, c'est qu'il n'a pas eu besoin de puiser dans ses réserves en vue du Tour de France. Même s'il a réalisé quelques superbes numéros. Il sort du Giro avec la victoire, le moral et tous les voyants sont au vert en vue du Tour.
Comment est-ce que vous expliquez une telle domination de Tadej Pogacar ?
S'il n'y avait pas eu Pogacar, on aurait eu un Giro beaucoup plus animé. Mais ce n'est pas sa faute si Roglic, Evenepoel ou Vingegaard n'étaient pas là. S'ils avaient été là, on aurait pu avoir une belle bataille en montagne et sur les chronos. Mais là, il y avait un grand écart entre Pogacar et ses concurrents.
Pour rappel, vous êtes le dernier coureur en date à avoir fait le triplé Giro – Tour de France – Championnats du Monde. Un exploit que vous avez réalisé en 1987. Cette année, un nouveau coureur se lance ce défi, Tadej Pogacar. Est-ce que vous pensez qu’il peut y arriver ?
Oui, c'est plus que possible. Si ça ne s'est pas produit depuis 37 ans, ce n'est pas parce qu'il n'y avait pas les coureurs pour le faire, ce sont les circonstances qui n'étaient pas réunies. Des coureurs comme Indurain, Armstrong, Pantani ou Froome auraient pu le faire. Si tu arrives sur les Championnats du Monde alors que le parcours est plat, tu es handicapé. Mais Pogacar est l'un des meilleurs coureurs de tous les temps, il monte, il descend, il roule, il sprinte. Il peut tout faire. Je ne pense pas qu'il va arriver trop fatigué au départ du Tour et ses adversaires comme Vingegaard seront sans doute en manque de compétitions. Mais tout peut arriver, ça reste ouvert. On n'en saura pas plus avant le premier chrono ou la première étape de montagne. Si j'étais Pogacar, j'essaierais de faire un maximum d'écarts en première semaine, parce que les autres risquent d'être encore plus forts sur la dernière semaine.
Ces dernières années, on a vu quelques coureurs, comme Contador en 2015 ou Froome en 2018, essayer de faire le doublé Giro-Tour, mais personne n’y est arrivé. Comment est-ce que vous expliquez ça ?
Je pense qu'il y a beaucoup de coureurs qui ont peur de faire les deux. Pas que sur le plan physique, mais aussi sur le plan commercial, parce que les sponsors cherchent à tout prix à gagner le Tour de France. Et tout le monde sait que le Giro n'est pas une épreuve de deuxième plan, avec une course et un parcours très exigeants. Et quand on ajoute le mauvais temps, tu fatigues beaucoup et tu manques de fraîcheur sur le Tour. C'est pour ça que ces dernières années les meilleurs coureurs se sont surtout axé sur le Tour de France.
Pogacar a déjà gagné deux fois le Tour, mais il s'est fait battre les deux dernières années par Vingegaard. Il se dit qu'il va avoir du mal face à lui. Par contre, en gagnant le Giro avant, il aura beaucoup moins de pression. Il pourra aussi jouer sur ça tactiquement.
Avec un Vingegaard sans préparation idéale, un parcours des Mondiaux qui lui correspond parfaitement… est-ce que c’est l’année ou jamais pour lui de faire ce triplé ?
Ce n'est pas tous les ans une année parfaite. Je ne dirais pas que c'est cette année ou jamais, mais indépendammant des blessures des uns ou des autres, les parcours sont tracés pour un coureur comme lui. Je crois que le club des deux, avec moi et Eddy Merckx, risque de devenir un club à trois à la fin d'année.
En plus de ça, on est dans une année olympique. Est-ce que vous croyez à un possible quadruplé pour Pogacar ?
Ce coureur-là est capable de tout. Ce qu'il fait depuis 3-4 ans est fabuleux. Et il le fait avec une aisance naturelle, il est fait pour ça, c'est un être exceptionnel. Physiquement, il est unique. On verra jusqu'à où ça va l'emmener, mais il ne semble pas avoir de limites.
Pour finir, qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Comme tout le monde, la santé. J'ai eu des problèmes aux épaules, je suis tombé deux fois... pas à vélo, mais avec les chiens. Je n'ai pas pu faire de vélo donc j'ai pris un peu de poids (rires). J'espère retourner dans le monde du cyclisme cette année, je serais notamment sur la Mercan'Tour Classic et sur le Critérium du Dauphiné. Et je cherche un partenaire pour travailler sur le Tour de France.