Dopage - Cétones, surmédicalisation, Pogacar... l'enquête de Radio France

Par Titouan LABOURIE le 25/10/2024 à 15:07. Mis à jour le 26/10/2024 à 20:01.
Dopage - Cétones, surmédicalisation, Pogacar... l'enquête de Radio France
Dopage
Photo : Sirotti

Le cyclisme, sport que nous aimons tant, est constamment rattaché à son passé, parfois très sombre. Le dopage est bien évidemment un sujet de débat constant, malgré que les affaires de triche soient devenues de plus en plus rares, dans un cyclisme toujours plus contrôlé. Cependant, il existe toujours une "zone grise", qui joue avec la limite, et que beaucoup de coureurs et d'équipes empreintent. Nos confrères de de la Cellule investigation de Radio France ont réalisé une enquête sur le sujet. Entre le cas Tadej Pogacar (UAE Team Emirates), la surmédicalisation des coureurs, les nouveaux produits... l'investigation aborde tous les sujets.

Vidéo - L'enquête de nos confrères de Radio France

 

Le doute Pogacar

L’enquête examine le phénomène de la surmédicalisation dans le cyclisme professionnel, en se concentrant sur les performances spectaculaires du Slovène Tadej Pogacar. Ses résultats exceptionnels, en particulier en 2024, ont soulevé des soupçons de dopage. Pogacar a dominé plusieurs courses majeures, notamment le Tour d’Italie, le Tour de France, les Championnats du Monde, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie. Sa capacité à repousser ses limites, illustrée par son échappée à 100 km de l’arrivée lors des Mondiaux à Zurich, a provoqué des interrogations sur ses méthodes, ainsi que sur celles de l’équipe UAE Team Emirates.

Cette enquête rappelle que les performances surmédiatisées n’ont pas échappé aux doutes du passé, souvent comparées aux scandales de dopage associés à Lance Armstrong dans les années 2000. En 2024, Pogacar a réalisé des ascensions remarquables, réalisant des performances (en Watts, w/kg) que l'on pensait jusque-là impossibles. Bien que son entourage défende ces résultats comme le fruit d’un entraînement intensif, d’autres spécialistes, comme Emmanuel Brunet de la Fédération Française de Cyclisme (FFC), soulignent que les gains techniques, bien qu’importants, ne peuvent expliquer des écarts de performance aussi significatifs. L’enquête met également en lumière que les avancées en matière de lutte anti-dopage n’ont pas complètement éliminé les suspicions. Des experts, tel que le professeur Olivier Rabin de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA), expriment leurs craintes quant à l’émergence du dopage génétique. Cette méthode consisterait à modifier l’expression de gènes pour optimiser les performances, par exemple en stimulant la production d’EPO. L’évolution des pratiques de dopage inclut aussi l’utilisation de microdoses de substances, administrées de manière régulière pour éviter les contrôles. Olivier Banuls, responsable des contrôles à l’International Testing Agency (ITA), souligne les défis liés à la détection de ces pratiques, malgré une augmentation des tests.

 

Un niveau de compétition toujours plus haut

Un aspect central de la surmédicalisation réside dans l’usage de médicaments légaux et de compléments alimentaires. De nombreux cyclistes utilisent des traitements autorisés pour améliorer la récupération, ce qui peut fausser les performances sans être considéré comme du dopage. Ce phénomène est exacerbé par l’existence de produits, comme des EPO génériques fabriquées en Asie, qui échappent partiellement aux contrôles. Bien que l’AMA s’efforce de développer des tests pour détecter une large gamme de ces substances, leur efficacité demeure limitée.

La méfiance à l’égard de Pogacar est accentuée par les antécédents documentés de dopage dans le cyclisme. Des anciens coureurs impliqués dans des affaires de dopage ont souvent intégré des équipes du World Tour, maintenant ainsi un climat de suspicion autour des performances exceptionnelles. Roger Legay, président du Mouvement pour un Cyclisme Crédible (MPCC), compare la situation actuelle à celle de l’époque d’Armstrong, où même des athlètes ayant subi de nombreux tests négatifs ont été révélés comme tricheurs. L’enquête met en lumière le paradoxe des contrôles antidopage : d’un côté, ceux-ci se multiplient, avec en moyenne quatre tests par coureur lors des grandes compétitions, et de l’autre, les résultats positifs demeurent rares. Cela suggère que les cyclistes maîtrisent de mieux en mieux les techniques de microdosage. Guillaume Martin, professionnel chez Cofidis et 13e du dernier Tour de France, témoigne de sa propre expérience de tests intensifiés, indiquant que des efforts sont déployés pour détecter des traces résiduelles de ces pratiques. Enfin, l’enquête souligne un clivage au sein du peloton : certains acceptent ce niveau de compétitivité comme la norme du sport de haut niveau, tandis que d’autres se sentent dépassés par cette surenchère de performance. Guillaume Martin admet que les standards d’excellence ont évolué, rendant difficile ce qui était auparavant suffisant pour obtenir des victoires. La pandémie de Covid-19 est également mentionnée comme un tournant, ayant contribué à une hausse des performances, bien que les opinions varient sur son impact.

 

Un entourage qui dérange

L’enquête approfondit le problème de la surmédicalisation dans le cyclisme, soulignant le rôle de Mauro Gianetti, le manager controversé de l’équipe UAE Team Emirates de Pogacar. Gianetti, ancien coureur, est une figure emblématique de ce problème. En 1998, il a frôlé la mort après s’être injecté du perfluorocarbone (PFC), une substance censée améliorer le transport de l’oxygène dans le sang. Bien que Gianetti ait nié cette injection, son ancien coéquipier, Éric Boyer, a des doutes. Boyer rappelle que Gianetti, coureur discret, avait soudainement remporté des courses prestigieuses en 1995, laissant supposer un recours à l’assistance médicale pour améliorer sa performance. Boyer estime que la présence de figures au passé douteux comme Gianetti ou encore Alexander Vinokourov (manager d’Astana, impliqué dans un scandale de transfusions sanguines en 2007) est irresponsable pour l’avenir du sport.

L’investigation met également en lumière la disponibilité de divers médicaments dans le peloton. Les cyclistes ont accès à des substances comme le Voltarène, la caféine ou le paracétamol, souvent sous forme de cocktails. Un témoin anonyme décrit la "magic box", une boîte contenant divers médicaments, distribuée librement avant les courses. Le concept de la "bomba", un mélange de ces produits autorisés, rappelle les cocktails d’amphétamines autrefois répandus. Les cétones, nouvellement popularisées, sont également un exemple de cette "zone grise" dans laquelle opère le cyclisme. Vendues comme compléments alimentaires, elles améliorent la récupération et augmentent le niveau de globules rouges. Bien que l’UCI et le MPCC déconseillent leur usage, elles sont tolérées dans certaines équipes, avec un suivi médical. Un cycliste raconte que certains managers préfèrent encadrer la prise de cétones plutôt que d’en interdire l’usage, ce qui, selon lui, s’apparente à une forme de dopage.

 

Un nouveau "dopage légal"

L’usage d’équipements médicaux sophistiqués, comme les recycleurs de monoxyde de carbone, est également problématique. Initialement conçus pour des patients dialysés, ces dispositifs sont désormais utilisés dans le cyclisme pour simuler une altitude élevée, stimulant ainsi la production d’EPO. Ce “dopage légal” inquiète des experts comme l’hématologue Gérard Dine, qui soulignent que ces techniques détournent les avancées médicales. Selon lui, ces pratiques permettent aux cyclistes de contourner les contrôles antidopage sans enfreindre directement les règlements, en exploitant des failles technologiques et réglementaires. Les experts appellent à une réforme pour stopper cette "course à l’armement" médical, en particulier dans les équipes et chez les jeunes cyclistes. Jean-Pierre Verdy, ancien directeur de l’Agence française de lutte contre le dopage, considère ce recours massif aux médicaments comme une forme de dopage, bien que légal. L’omniprésence de ces substances, allant des cétones aux anti-inflammatoires, réduit selon lui la frontière entre performance naturelle et performance artificielle. La Fédération Française de Cyclisme exprime également son inquiétude, craignant que cette surconsommation de médicaments ne se généralise parmi les jeunes cyclistes. Enfin, les cyclistes eux-mêmes sont soumis à une pression énorme pour obtenir des résultats, une situation où la médicalisation devient pour beaucoup une solution quasi obligatoire, même si elle met en péril leur santé à long terme.

En conclusion, malgré les avancées notables dans la lutte contre le dopage, le cyclisme demeure en proie aux suspicions. La génétique, le matériel, les méthodes d’entraînement et la pharmacologie se mêlent dans un tableau complexe où la frontière entre performance naturelle et dopage devient floue. Les organismes de lutte anti-dopage, font face à des pratiques de plus en plus sophistiquées, nécessitant une vigilance constante pour préserver l’intégrité du sport.

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