Route - Rodrigo Beenkens : «Les coureurs belges peuvent gagner partout»
Quelques semaines après son partenaire de la RTBF Cyril Saugrain, c'est au tour de Rodrigo Beenkens de se prêter au jeu de l'entretien sur Cyclism'Actu ! Légendaire commentateur chez nos amis et confrères de la télévision belge, chez qui il a fait vivre pas moins de 30 Tour de France et la plupart des classiques belges depuis 1990, cet amoureux du cyclisme et du football a livré à Cyclism'Actu son regard d'expert sur l'année cycliste 2023: ses moments marquants, son avis tranché sur le meilleur coureur de la saison et les résultats du Vélo d'Or, la période dorée du cyclisme belge, les pépites tricolores, le retour de Julian Alaphilippe, les choix de Wout Van Aert, ses envies pour l'année 2024... de nombreux sujets ont été abordés avec cette grande figure de la Belgique, qui en a profité pour glisser un petit mot à nos lecteurs français. "C'est toujours un plaisir et un honneur de parler au public français. Ne le dites pas trop fort, mais la France est quand même belle !".
Vidéo - Rodrigo Beenkens... au micro de Cyclism'Actu !
Ronde van Vlaanderen / Tour des Flandres (2002)
— Miroir du Cyclisme (@Miroir2Cyclisme) April 2, 2022
5 hommes en tête à 4 km de l'arrivée. Les 🇧🇪 Johan Museeuw & Peter van Petegem, les 🇮🇹 Andrea Tafi & Daniele Nardello et George Hincapie 🇺�'.
Attaque d'Andrea Tafi...
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Vos moments marquants de la saison 2023 ?
"C'est très subjectif comme question. Il faut pouvoir distinguer l'exploit sportif de l'exploit purement physique, mental, et de ce qui est peut-être l'essentiel dans notre métier : le côté émotionnel. C'est vrai je suis un peu plus attiré par ce dernier... Je voudrais retenir quatre images fortes sur la saison."
La démonstration de Tadej Pogacar sur le Tour des Flandres
"De manière chrononlogique, je citerai d'abord Tadej Pogacar sur le Vieux Quaremont. Sur le Tour des Flandres, j'avais déjà vu beaucoup de choses. Mais là, ce que Pogacar a fait... Je n'avais jamais vu ça. Il était au-dessus du lot, avec un telle puissance. On avait l'impression qu'il volait sur les pavés."
La dextérité de Mathieu van der Poel sur Paris-Roubaix
"Ma deuxième image arrive une semaine plus tard, avec Mathieu van der Poel sur Paris-Roubaix. Ça aurait pu être la crevaison de Wout Van Aert, car j'aurais rêvé d'un sprint à deux sur le vélodrome. Mais ce que je retiens, c'est lorque Mathieu évite ce plot dans le virage d'un des derniers secteurs. Je pense que trois coureurs sur quatre seraient tombés. Il sait qu'il va gagner, il y a une forme de déconcentration, et la façon dont il récupère sa machine... C'était magique. Ça confirme ce qu'on savait et ce qu'on verra encore plus tard aux Mondiaux : c'est tout simplement le meilleur pilote du monde ! Il fait ce qu'il veut avec un vélo."
Le doublé de Remco Evenepoel sur Liège-Bastogne-Liège
"Ma troisième image est un peu chauvine : la deuxième victoire de Remco Evenepoel sur Liège-Bastogne-Liège. Je la cite car c'est le grand Monument en Belgique francophone. Evidemment, on aurait préféré que Pogacar ne tombe pas sur les routes wallonnes, dans un état lamentable dont on était pas très fiers... On aurait voulu avoir ce duel, que l'on a toujours pas eu à ce jour entre les deux. Mais enfin, c'était tout de même très impressionnant, d'autant plus avec la ferveur du public belge, qui a attendu ça très longtemps à quelques exceptions près. Il faut se rendre compte que c'était quelque chose qui était devenu plus que rarissime."
La puissance d'Arnaud De Lie dans le sprint du GP de Québec
"Et enfin mon dernier élément... Vous savez, en Belgique on manque de bons coureurs wallons francophones. La Wallonie est à la traîne par rapport à la Flandre, au Limbourg, et ce n'est pas neuf. Si en Belgique francophone, le cyclisme est une passion, plus au nord, c'est une religion. Toute la nuance est là. Donc le fait de voir arriver un garçon comme Arnaud De Lie est très intéressant. Ce qui m'a impressionné, c'est ce sprint au Canada (GP de Québec). Ça ne m'était plus arrivé depuis une dizaine d'années de revoir entre cinq et dix fois les 300 derniers mètres d'une arrivée. Là où il se trouve à 300m, c'est impossible. Ses 200 derniers mètres sont d'une puissance extraordinaire. Ça me fait dire qu'aujourd'hui, sur ce type d'arrivée en faux plat montant, il est peut-être déjà le meilleur du monde."
Une période dorée pour le cyclisme belge ?
"Du côté belge, il est clair que c'est la meilleure période depuis la fin des années 70. Ce qui est absolument exceptionnel, c'est qu'aujourd'hui, les Belges peuvent gagner dans pratiquement n'importe quel registre. Je ne dis pas qu'un Belge peut gagner le Tour de France dans les trois ans à venir, mais en tout cas, un ou deux vont essayer. Et ça c'est complétement neuf, c'est ce qui manquait depuis la période Merckx, Van Impe... Sur Liège 2022, on a mis trois Belges sur le podium, c'est dingue ! Il n'y a pas que Evenepoel, on voit des jeunes comme Maxim Van Gils, Cian Uijtdebroeks... Pendant 25 ans, lorsqu'il y avait un groupe de 30 coureurs en haute montagne, pour qu'il y ait un Belge, il fallait qu'il soit parti dans l'échappée matinale, sinon c'était impensable.
Pareil du côté du sprint. Même s'il y a eu Boonen qui était une petite exception, toutes ces dernières années, les coureurs belges n'étaient que des poissons pilotes. Et d'un seul coup on a Van Aert qui performe, l'éclosion de Jasper Philipsen, un gamin comme Jordi Meeus qui gagne sur les Champs-Élysées... Paradoxalement, le seul registre où la succession s'annonce un peu plus compliquée, ça va être celui où la Belgique était la plus performante durant ces années 'creuses' : les classiques flamandes."
Le meilleur coureur de la saison ?
"Il y a évidemment ce phénomène Mathieu van der Poel. Et regardez la saison de Tadej Pogacar, on n'a même plus besoin en parler, il est hors catégorie. La majorité des journalistes qui ont été consultés ont réussi à ne mettre ni Van der Poel, ni Pogacar comme coureur de l'année... J'ai l'impression que certains ne regardent pas le même sport que nous. Bravo à Jonas Vingegaard d'avoir largement remporté le Tour de France. Mais, sincèrement, quand vous voyez la saison de Van der Poel... Si on ne le met pas, mais qu'on vote Pogacar, je peux encore comprendre.
J'ai beaucoup de respect, chacun a sa vision des choses. Mais j'ai quand même vu que certains ne les avaient même pas mis dans le top 3... Franchement je ne comprends pas. On a deux coureurs hors catégorie sur la saison : Pogacar et Van der Poel. Vous pouvez les mettre dans l'ordre que vous voulez, on peut discuter. Pour moi, c'est Van der Poel. Ensuite, Jonas Vingegaard vient en troisième position. Je trouve que le Tour de France prend beaucoup trop d'importance. En tout cas, il y a du talent et de l'audace dans tous les pays, ça vient un peu de partout."
Et en France ?
"Côté français, je suis très séduit par ce tandem Romain Grégoire / Lenny Martinez. Vous allez vous amusez avec ces deux gamins ! Il faudra voir s'il peut tenir sur trois semaines, mais ce que Martinez a montré sur le début du Tour d'Espagne, c'est magnifique à son âge. S'il est bien géré, il peut grimper avec les meilleurs. Dans un bon jour, il n'est pas du tout inférieur à Cian Uijtdebroeks. Romain Grégoire n'est ni un pur sprinteur, ni un pur grimpeur, mais quel potentiel il a ! J'aimerais bien le voir sur les Classiques dans les années à venir, que ce soit celles du Nord ou celles plus vallonnées. Il vous manque peut-être un vrai sprinteur en France, mais parfois il suffit d'un déclic."
Julian Alaphilippe peut-il revenir à son meilleur niveau ?
"Je le souhaite, car quand on voit le Alaphilippe qui a été champion du monde à Louvain et Imola, c'est un coureur magnifique par sa manière d'attaquer, de courir, d'atteindre ses objectifs. Il a tellement apporté au cyclisme français. Si vous faites le bilan des 10 dernières années sans lui... Chez lui, son tempérament est inné. C'est peut-être plus mental : qu'est ce que lui a encore envie et la force de faire ? Lui seul a la réponse. Il a réussi sa carrière sur le Tour de France, au-delà de toute espérance. Mais dans les Classiques... Son bilan sur les Monuments, c'est vraiment trop peu par rapport à son talent. Tout est une question de choix. Wout Van Aert est un peu confronté à cette situation là aussi. Ce sont des champions, ils devraient être plus égoistes. Je ne pense pas qu'on devrait demander à de tels coureurs de se mettre au service d'autres."
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— Cyclism'Actu (@cyclismactu) November 14, 2023
Wout Van Aert sur le Tour d'Italie, une bonne idée ?
"Il doit avoir beaucoup de frustration. Il a trois grands objectifs qu'il veut gagner, mais il n'y arrive pas : le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, et les Mondiaux. Il s'est classé deuxième de toutes ces épreuves. Il fait des choix qui ne sont pas faciles. Et je m'interroge sur ses choix. Moi je pense que Van Aert peut gagner plus facilement Liège-Bastogne-Liège que le Tour des Flandres. Son programme de cyclo-cross, qui était déjà très réduit ces deux dernières années, le sera encore davantage. S'il fait le Giro, je le comprends parfaitement. Il y a une double explication. La première, c'est tout simplement le parcours, qui lui conviendra beaucoup mieux. Mais il y a surtout le fait qu'il aura carte blanche, ce qu'il n'a jamais eu sur le Tour, où la priorité absolue est Vingegaard, ou était Roglic. Il n'a jamais eu, avec tout le respect que j'ai pour Christophe Laporte, un vrai poisson pilote.
J'ai beaucoup d'admiration pour son dévouement. Mais à un moment donné il faut arrêter. Je respecte Vingegaard, mais comme je l'avais dit à chaud, et je le redis avec le recul de la même manière : je constate que ce que Vingegaard a pu faire pendant trois semaines pour Sepp Kuss sur le Tour d'Espagne, il n'a pas pu le faire sur 300 mètres pour Wout Van Aert sur le Tour de France. Et s'il l'avait fait, Van Aert aurait gagné une ou deux fois de plus au minimum. Van Aert est un coureur intelligent, il ne va pas polémiquer, mais pour lui-même, je pense que ça suffit maintenant. Quand c'est à sens unique comme là..."
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— Cyclism'Actu (@cyclismactu) November 15, 2023
Une envie particulière pour 2024 ?
"J'ai envie que ça continue comme en 2023. J'ai envie de voir Van der Poel et Van Aert se disputer la victoire sur le vélodrome de Roubaix. J'ai envie de voir Evenepoel arriver avec Pogacar sur Liège-Bastogne-Liège. J'ai envie de voir un Milan-San Remo avec les 7 ou 8 coureurs capables de le gagner. J'ai envie de voir, et c'est peut-être mon rêve ultime, un Tour de France où, pour rendre hommage à Laurent Fignon et Greg LeMond 35 ans après, le 21 juillet, le jour de la 21e étape et de la fête nationale belge, on se retrouverait avec Vingegaard, Pogacar, Evenepoel, et ajoutons Roglic pour que ce soit inédit à 4, que ces quatres là se tiennent en une minute au départ du chrono de Monaco jusqu'à Nice. Ça ce serait génial !"
