Les carnets secrets - Marc Fayet: «Merckx laissait des miettes, et Pogacar...»
Visiblement, vous avez aimé les billets d'humeur de Marc Fayet en 2023, alors on remet ça pour 2024 ! Vous avez pu le découvrir et le lire sur Cyclism'Actu ! Marc Fayet est donc de retour pour cette saison avec sa chronique ou plutôt sa rubrique "Les carnets secrets". Pour rappel, Marc Fayet, né en 1961, est un homme du théâtre et de la scène. Acteur et metteur en scène mais aussi passionné de vélo. Marc s'est toujours investi : il écrit, commente, agit autant qu'il le peut dans le cyclisme, notamment sur le Tour du Finistère dont il est aujourd'hui et depuis 2021, le président du comité d'organisation. Marc Fayet et "ses" carnets secrets, c'est désormais à retrouver régulièrement sur Cyclism'Actu.
Vidéo - Tadej Pogacar après la 17e étape du Giro
"C’est pour que Maman ne se fasse pas de soucis pour moi"
Lorsque le grand Eddy Merckx raflait tout à son époque, parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, parce qu’il était une jambe au-dessus des autres, parce que c’était un être exceptionnel parmi tous les êtres d’exception, il n’avait qu’un argument à justifier d’une telle voracité. "C’est pour que Maman ne se fasse pas de soucis pour moi", disait-il. Ce ne sont peut-être pas exactement ses propos, mais je me souviens bien qu’il s’agissait de quelque chose d’approchant. Là résidait sa suprême motivation pour un règne sans partage qu’il a traversé avec un regard noir et sans un sourire durant les années 70. Nous voilà plus de 50 ans plus tard et voici qu’un autre anthropophage a posé sa patte sur le cyclisme mondial pour en être le champion incontesté, avec le même appétit, la même domination totale, capable comme son aîné de décider de partir seul malgré les meilleurs champions parvenus à l’accompagner pour effectuer avec eux le premier écrémage, avant qu’il ne se charge seul de l’essorage grâce à sa fréquence de pédalage inimitable. Premiers éléments qui les distinguent, le sourire de l’un, le visage de marbre de l’autre, le goût du jeu de l’un et la besogne de l’autre, l’humour de l’un, le sérieux de l’autre, l’apparente légèreté de l’un, la densité terrienne de l’autre.
Merckx - Pogacar : deux motivations très différentes
Merckx même s’il était issu d’une famille qualifiée de petite bourgeoisie, dans un pays aux fortes traditions, dans une société solide, une économie florissante, était l’exemple de l’homme méritant, dur au mal, représentant du peuple qui travaille, qui est dur à la tâche et cherche à dompter les rigueurs du temps et de l’adversité. Pogacar lui, issu d’une famille de classe moyenne, dans un pays minuscule, à la culture cycliste très minime, figurerait plutôt cette jeunesse européenne consciente de la fragilité géopolitique mondiale, des dangers climatiques, des incertitudes endémiques et qui ne trouve dans l’exercice de son sport qu’un exutoire à toutes les angoisses que les jeunes tentent de dompter à leur manière. Pour un même phénomène on constate qu’il s’agit bien de deux motivations très différentes. Je ne dis pas que Tadej ne se fasse pas de soucis pour sa maman, mais à le voir faire ce qu’il fait avec tellement d’aisance, on se demande si ce n’est pas elle plutôt qui se ferait du souci pour toutes les mamans de ceux qui tentent de prendre la roue de son rejeton, craignant qu’à s’infliger un tel effort, ils ne parviennent qu’à se mettre en danger et à exploser. Crainte que nous ne sommes pas loin de partager. Si Eddy Merckx à son époque s’attirait autant de critiques, c’est parce qu’il laissait des miettes aux autres. Aujourd’hui Tadej Pogacar n’en laisse pas beaucoup non plus et finalement on aime bien ça. C’est vrai qu’on y retrouve un certain goût du passé, sorte de nostalgie à la recherche des vieilles recette traditionnelles.
Tour d'Italie - Romain Bardet : "Pogacar ? Il ne peut pas s'en empêcher... " #GirodItalia #Giro2024 #Giro #Bardet #Pogacar https://t.co/3wmhGLLhku #cyclisme #cycling
— Cyclism'Actu (@cyclismactu) May 23, 2024
Mamans de champions
Si on ne connaît pas le genre de soupe que la maman d’Eddy préparait pour son fiston, on ne sait pas plus quelle sorte de purée la Maman de Tadej lui sert encore, mais elles doivent certainement avoir une vertu particulière et un secret de fabrication qu’elles ont jalousement gardé. Je m’imagine seulement que ces plats sont composés d’un quart de tendresse, d’un bon tiers d’amour, le reste étant agrémenté d’une dose de confiance, d’une lichette de génétique, d’un soupçon de chance et d’une pincée de mystère. Et a l’approche de la fête qui les célèbre, il serait bon de mettre à l’honneur ces deux mamans-là Jenny Merckx et Marjeta Pogacar qui nous ont offert ces deux éblouissants spécimens qui comblent notre insatiable besoin d’admirations.