Interview - Bernard Hinault : «Voir Tadej Pogacar toujours gagner...»
À quelques jours seulement du début des Championnats du monde 2024, organisés à Zurich, en Suisse, Cyclism'Actu a partagé un moment avec Bernard Hinault. Contacté par téléphone, le Breton a pris son temps pour commenter l'actualité du cyclisme et donner sa vision des choses sur certains sujets. Le phénomène Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) - qui est plus que bien parti pour devenir, comme lui ou encore Eddy Merckx, une légende de ce sport - a bien sûr été évoqué, tout comme la fin de de saison précoce de Jonas Vingegaard, ainsi que ce 40e anniversaire que nous allons célébrer lors de l'été 2025 et dont le cyclisme français se serait assurément bien passé, à savoir celui de la dernière victoire d'un Tricolore au classement général du Tour de France. Déjà 40 ans, et malheureusement, on ne voit toujours pas qui pourrait mettre fin à cette interminable disette et ainsi succèder à un certain... Bernard Hinault.
Vidéo - Bernard Hinault... entretien avec Cyclism'Actu !
"Tadej Pogacar, je l'ai vu arriver sur le Tour de l'Avenir lorsqu'il l'a gagné"
Reprenant du plaisir à regarder des courses de vélo grâce aux acteurs débarqués sur scène ces dernières années - "L'arrivée de nouveaux coureurs a redonné un nouveau souffle au cyclisme. Des coureurs comme Tadej Pogacar, Remco Evenepoel et Julian Alaphilippe, même s'il n'est plus aussi performant qu'avant, ça fait toujours plaisir à voir", dit-il - Bernard Hinault a un faible pour le meilleur d'entre eux, qu'il avait découvert pour la première fois en 2018.
"Tadej Pogacar, je l'ai vu arriver sur le Tour de l'Avenir lorsqu'il l'a gagné", se souvient le Blaireau. "Depuis, il n'a cessé de confirmer tout ce qu'il savait faire. Il est dans une super forme cette saison, et il prépare aussi très bien ses objectifs. Après le Tour, il n'a pas été aux Jeux olympiques car il a une idée en tête : être champion du monde à Zurich." S'il décrochait le maillot arc-en-ciel, le Slovène - qui vient de gagner de façon impressionnante le Grand Prix Cycliste de Montréal - serait le troisième homme, après Eddy Merckx en 1974 et Stephen Roche en 1987, à remporter la même année le Tour d'Italie, le Tour de France et la course en ligne des Championnats du monde. Et selon Bernard Hinault, il y a de très fortes chances qu'on revive ce triplé historique.
"Voir Pogacar toujours gagner, est-ce rébarbatif ? Non [...] ça nous fait rêver"
"Le parcours étant difficile, il va pouvoir s'exprimer et il n'aura pas trop de difficulté à devenir champion du monde", prophétise le Costarmoricain de 69 ans, avant tout de même de prévenir le numéro un mondial. "Après, il y a tout de même de la concurrence, il ne faut pas l'oublier. Il aura de très bons coureurs face à lui et il risque, en plus, d'avoir la pancarte dans le dos, ce qui signifie que tout le monde va courir sur lui. Comment procéderait Bernard Hinault s'il avait tout le monde sur le dos ? Je ne me pose pas de question et j'attaque."
Face à la grande supériorité montrée depuis le début de la saison 2024 par Tadej Pogacar, on peut se demander si ce n'est pas une mauvaise chose pour le cyclisme, l'issue des courses sur lesquelles il se présente étant quasiment connue d'avance. Interrogé sur ce sujet, Bernard Hinault s'est montré on ne peut plus clair. "Voir Pogacar toujours gagner, est-ce rébarbatif ? Non. Un coureur est avant tout là pour se faire plaisir, et non pour faire plaisir aux autres. Un tel talent et une telle domination, ça nous fait rêver. Si on pose la question à Eddy Merckx, il dira sûrement la même chose. On aime les combattants, et il fait partie de ceux-là."
"Julian Alaphilippe est de retour au plus haut niveau, et il le mérite"
Un autre coureur qui ravit le natif d'Yffiniac, c'est Julian Alaphilippe (Soudal Quick-Step) ! "Julian me fait énormément plaisir. Il est de retour au plus haut niveau, et il le mérite. C'est quelqu'un qui travaille énormément, et il en est récompensé. Il n'a pas les moyens physiques de Pogacar, mais quand il a la possibilité, il ne se pose pas de questions et il y va", explique-t-il, avant de se prononcer sur le prochain changement d'équipe de l'ancien double champion du monde, qui a signé chez Tudor Pro Cycling Team. "Est-ce une bonne décision ? C'est lui qui voit, pas moi. Je ne sais pas ce qu'il se passait dans son ancienne équipe, donc c'est difficile de juger."
"Pogacar ou Evenepoel sont des 1 000 cm3 alors qu'on n'a que des 750 en France"
En 2019, avec ces 14 jours en jaune, Julian Alaphilippe avait longtemps diffusé l'espoir de voir enfin un Français regagner le Tour de France. Finalement, ça n'était pas arrivé, et on attend toujours un successeur à Bernard Hinault, vainqueur de son cinquième Tour en 1985. L'an prochain, on célébrera donc les 40 ans de la dernière victoire finale française sur la Grande Boucle, et ce au grand dam du Breton. "Un Français qui gagne le Tour ? On n'a rien pour l'instant... mais il faut toujours espérer", souffle-t-il.
"Même en étant un grand pays de vélo, si on n'a pas le super champion qui domine comme peut l'être Tadej Pogacar, on est là mais sans plus. Quand on aura trouvé un Tadej Pogacar ou un Remco Evenepoel, qui sont des 1 000 cm3 alors qu'on n'a que des 750 en France, alors peut-être qu'aura-t-on trouvé mon successeur au palmarès du Tour. Si on n'a pas le gros moteur, on ne peut pas lutter. Personnellement, je suis un peu désolé de ne pas avoir un successeur depuis 40 ans. On a déjà eu des coureurs français qui étaient très bons chez les jeunes, mais on ne les a pas vraiment vus ensuite chez les professionnels, et c'est ça qui est dommage. Certains étrangers arrivent à confirmer, eux."
"Si on aime le vélo, on aime courir et on aime gagner"
Enfin, on a demandé à Bernard Hinault son classement des quatre fantastiques - "Avec tout ce qu'il a pu gagner depuis le début de saison, je mets Tadej Pogacar en premier. Ensuite, je mets Remco Evenepoel, Jonas Vingegaard et enfin Primoz Roglic" - et ce qu'il pensait de la décision de Jonas Vingegaard de mettre très tôt un terme à sa saison. "Ce n'est pas le premier qui fait ça. Par le passé, beaucoup de coureurs ayant performé sur le Tour se sont dit : 'la vie est belle, pourquoi je continuerai à me battre'. On peut se demander s'ils aiment faire du vélo car si on aime le vélo, on aime courir et on aime gagner. Vingegaard donne l'impression de moins aimer la course qu'un Pogacar ou qu'un Evenepoel", conclut Bernard Hinault.