Chronique - Guimard : «On n'a pas encore retrouvé le grand Alaphilippe»
Les principaux enseignements du Critérium du Dauphiné - avec la domination de Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma), l'inquiétude David Gaudu (Groupama-FDJ), les bonnes perfs de Julian Alaphilippe (Soudal Quick-Step) et Christophe Laporte (Jumbo-Visma) -, mais aussi la victoire de Lenny Martinez (Groupama-FDJ) au Mont Ventoux et les choix de Marc Madiot concernant Thibaut Pinot et Arnaud Démare pour le prochain Tour de France... Notre chroniqueur Cyrille Guimard - ancien directeur sportif et ancien sélectionneur de l'équipe de France, désormais consultant sur RMC Sport et La Chaine L'Equipe - n'a éludé aucun sujet pour sa chronique sur Cyclism'Actu. Comme toujours, on aime ou on n'aime pas... mais ça se regarde et ça se lit ! Bref, quelques 20 minutes de discussion et entretien avec Le Druide, et c'est à retrouver ci-dessous...
Vidéo - La Chronique Guimard après le Dauphiné, à 2 semaines du Tour
La domination de Jonas Vingegaard sur le Dauphiné ?
Sa domination est tellement importante, avec en plus beaucoup de sérénité. Il n'y avait personne à son niveau. Quand Pogacar ou Evenepoel ne sont pas là, il y a un gros écart entre les 4 ou 5 très grosses pointures du peloton et le reste des coureurs. On peut se poser la question : Est-ce que c'est Vingegaard qui est nettement au-dessus, ou l'opposition qui était trop faible ? C'est toujours difficile à évaluer. Mais une chose est certaine : depuis 3 ans, on a trois coureurs au-dessus du lot. Pogacar - dont on parle un petit moins depuis sa chute mais qui était même au-dessus de Vingegaard avant -, Vingegaard et Evenepoel bien sûr, même s'il ne sera pas au Tour.
Vingegaard intouchable en juillet ?
On ne peut pas dire ça, pour une raison très simple : tant qu'on a pas de comparaison possible, à ce jour, avec son principal adversaire Pogacar, on ne peut pas estimer si Vingegaard est plus ou moins fort que lui. Moi, je ne suis pas inquiet du tout pour Pogacar. Il ne prend aucun risque pour être au départ du Tour de France, je ne pense pas qu'il sera en retrait par rapport à Vingegaard, ce qui serait de bon augure.
Hindley, Yates, O'Connor... Prêts pour le Tour ?
Oui, et c'est bien normal, on n'est plus qu'à 15 jours du début du Tour. Si tu n'es pas proche de ton pic de forme si proche du Tour, tu n'as rien à y faire. Je vais me répéter, mais il y a un fossé entre les deux grand favoris de ce Tour, et l'ensemble des outsiders, qui d'ailleurs sur ce Dauphiné n'essayaient même pas de suivre Vingegaard. Dès qu'il accélèrait, au bout de quatre coups de pédales il se disaient "oula, on joue pas dans la même cour". Personne ne pouvait jouer avec lui.
David Gaudu, inquiétant ?
David, je le mets dans le peloton de ceux qui peuvent venir dans le top 10, en fonction des différentes configurations de course et des incidents. Il ne faut pas oublier que tout le monde ne finira pas le Tour. On l'a bien vu sur le Tour d'Italie avec les nombreux abandons, qui ont d'ailleurs permis à Thibaut Pinot de faire top 5. Sur le prochain Tour, comme tous les ans, vous avez 15 coureurs qui peuvent jouer dans la cour des grands, et vous en aurez un tiers voire plus qui n'arriveront pas à Paris.
Je ne m'aventurerai pas à juger le niveau de performance de Gaudu mais aussi celui de Madouas sur ce Dauphiné. Mais je pense qu'il y a quelques tensions dans l'équipes, elles sont patentes. On sait qu'il se passe une certain nombre de choses depuis deux ou trois mois. Ce n'est pas la grande sérénité, il y a trop de problèmes et de pressions sur un plan psychologique pour être libéré et faire sa course normalement.
INEOS Grenadiers, en retrait ?
INEOS n'est pas et n'est plus l'équipe Sky. Elle a été beaucoup modifiée depuis Froome et Wiggins en son temps. Au niveau du recrutement, je ne pense pas qu'ils aient été les plus pertinents. Ils ont de très bons coureurs, mais il leur manque aujourd'hui un vrai patron et leader qui peut évoluer au niveau des deux favoris du Tour. Peut-être Egan Bernal s'il revient à son meilleur niveau. Mais y reviendra-t-il ? Je l'espère pour lui. Il a fait un très bon Dauphiné, mais pour moi ce ne sera pas avant l'année prochaine. Il a encore tellement de choses à reconstruire.
Est-ce qu'on a retrouvé le grand Julian Alaphilippe ?
Non, on a retrouvé le BON Alaphilippe, mais pas encore le grand. Le grand Julian, il était maillot jaune sur le Tour et gagnait les chronos. Il faut quand même s'en rappeler. Là, il a retrouvé envie de faire du vélo, et ça me fait plaisir. Ca veut dire qu'il y a beaucoup de choses qui ont été évacuées et que ça va dans le bon sens. Il aime à nouveau attaquer, aller dans les coups, emmener les sprints, travailler pour les autres... Il a retrouvé tout ça. Mais son meilleur niveau, aujourd'hui je ne pense pas. Il a encore 15 jours pour peaufiner tout ça. Mais une chose est certaine : il sera acteur sur le Tour, et peut-être le meilleur acteur français.
Christophe Laporte, quel rôle sur le Tour après son excellent Dauphiné ?
Il aura le même rôle que l'an dernier, ce qui ne l'avait pas empêché d'aller chercher une victoire d'étape, la seule pour les Français. Laporte réalise depuis deux ans des saisons fabuleuses. Il tire le meilleur de lui-même tout en n'étant pas leader, mais plutôt équipier de luxe, comme peut l'être Wout Van Aert par exemple. Selon les circonstances de course, si "la porte" s'ouvre, il pourra aller chercher une étape. Je considère Christophe comme le meilleur coureur français, sportivement parlant. Avec lui et Alaphilippe, on est sûr de voir du Français sur ces trois semaines.
La victoire de Lenny Martinez au Mont Ventoux ?
Il fait partie de cette jeune génération sur laquelle tout le monde fonde beaucoup d'espoirs, avec notamment Romain Grégoire. Lenny confirme à chaque sortie. Ce qu'il fait à 20 ans, c'est quand même exceptionnel. Pour moi, il va se rapprocher dans les deux à trois années qui viennent des tout meilleurs dans la montagne.
La sélection de le Groupama-FDJ pour le Tour, avec Pinot mais sans Démare ?
Ce que j'en retiens, c'est qu'en aucun cas Pinot ne pouvait pas être au départ du Tour. Pour moi c'était acté dès la fin du Giro, de façon plutôt légitime. On a fait 10 jours de comm' là-dessus, mais ça n'avait pas de sens.
Le problème Démare est beaucoup plus compliqué. Parce que si vous jouez avec Pinot, Gaudu, Madouas, etc... Qui vous voulez mettre avec Démare ? Et d'un autre côté, on ne fait pas une équipe qu'avec des stars. On l'a encore vu sur le sprint de la 2e étape du Tour de Suisse, Démare sans train, ce n'est pas McEwen, ce n'est pas Cavendish, ce n'est pas quelqu'un qui va au combat. Il a besoin d'être emmené. Et puis d'un autre côté, c'est aussi priver les grimpeurs d'un équipier qui peut les accompagner dans la montagne. Donc pour moi, le fait que Démare ne sois pas au Tour, ce n'est pas une surprise. Il faut faire des choix dans la vie. Pareil quand vous êtes manager d'équipe. C'est la vie. La surprise, ça aurait été que Thibaut Pinot ne sois pas au départ. Mais ce n'était pas possible.