Les carnets secrets - Marc Fayet : «Regarde ces hommes tomber... »
Marc Fayet, vous connaissez ? Vous avez déjà pu le découvrir et le lire il y a quelques temps déjà sur Cyclism'Actu ! Marc Fayet est donc de retour avec sa chronique ou plutôt sa rubrique "Les carnets secrets". Pour rappel, Marc Fayet, né en 1961, est un homme du théâtre et de la scène. Acteur et metteur en scène mais aussi passionné de vélo. Marc s'est toujours investi : il écrit, commente, agit autant qu'il le peut dans le cyclisme, notamment sur le Tour du Finistère dont il est aujourd'hui et depuis 2021, le président du comité d'organisation. Marc Fayet et "ses" carnets secrets, ce sera désormais à retrouver régulièrement sur Cyclism'Actu.
Vidéo - Souvenirs... Nacer Bouhanni un cycliste et amoureux de boxe
Malgré la peur et l’appréhension qu’elle suscite, la crainte de la chute n’est même plus l’exclusivité des coureurs mais elle devient celle des téléspectateurs puisqu’ils sont devenus, que nous sommes devenus, des consommateurs voraces d’images de courses, n’hésitant pas à zapper une après-midi entière sur deux ou trois chaînes pour suivre ces multiples épreuves augmentant les risques d’assister à une de ces chutes terribles qu’on nous repasse sous tous les angles possibles.
"Ai-je encore envie d’avoir envie moi qui suis toujours en vie ?"
On a tous dans la mémoire quelques-unes qui sont restées marquées à jamais comme le sprint d’Armentières de Jalabert en 94, la chute dans le vide de Philippe Gilbert en 2018, l’accident atroce de Jakobsen sur le Tour de Pologne en 2020… Avec parfois seulement la peur en héritage. Mais toutes ces images parlantes en rappellent d’encore plus traumatisantes, quand ce sont des chutes qu’on n’a pas vues mais qu’on ne peut qu’imaginer, comme celle fatale de Fabio Casartelli sur le tour 95, celle mortelle de Wouter Weylandt sur le Giro en 2011, nous offrant juste des hommes inertes gisant sur le sol. Choc de l’événement, choc de l’image, choc du constat, le vélo est le plus beau des sports mais peut générer de ces images que l’on n’aime pas voir, pas revoir. La chute fait partie de la vie de coureurs et c’est parfois systématique, j’oserai écrire systémique.
Parmi ces malchanceux qui commencent à connaître toutes les urgences d’hôpitaux de France et d’Europe, il y en a un particulièrement qui est marqué par la déveine, la maladresse, la malchance, le sort, le « pas de chance » et qui en font une sorte de poissard sublime du peloton français. Vous l’avez tous reconnu il s’agit de Nacer Bouhanni qu’on ne sait plus comment plaindre tant toutes ses sorties semblent se résumer à la même vision, celle d’un homme à terre. Partant de ce constat, que penser si on veut penser pour lui ?
Que déduire si on se met à la place de sa direction sportive ? Que conseiller si on est son médecin, son assurance ? Que conclure si on est sa femme, son fils, son psychologue ? Et comme quand on est un passionné on peut parfois être tout à la fois, il nous semble qu’on aurait la tentation de lui délivrer ce message : Nacer, tu n’y es plus, Nacer tu nous fais peur, Nacer tu dois te poser une question… « Ai-je encore envie d’avoir envie moi qui suis toujours en vie ? ».
Je sais, c’est dur et définitif et je vais me faire engueuler par son équipe, par son manager, par ses protecteurs, par ses admirateurs, mais il arrive parfois qu’on se sente l’âme d’un porte-parole pour une majorité discrète et silencieuse, c’est ce que je fais et que j’inscris sur ce sacré carnet secret.