Liège-Bastogne-Liège - Alaphilippe : «Je vais découvrir»
Par Alexis ROSE & Benoit LAURENTI le 24/04/2015 à 20:01
Vidéo - "Paris-Nice me servira pour les Ardennaises"
Dernier Français sur le podium de la Flèche Wallonne depuis Laurent Jalabert, Julian Alaphilippe a fait sensation en finissant deuxième derrière Alejandro Valverde. Cyclism'Actu a pu donc s'entretenir avec le jeune prodige au lendemain de sa belle performance. Une entrevue marquée du sceau de la maturité chez un coureur qui, soyez-en sûrs, n'en finira pas de vous étonner.
Julian, vous remettez-vous de vos émotions ? Le dernier Français à avoir fait ça, c’était Laurent Jalabert en 2000, ça datait.
J’ai vu ça, on m’en a parlé. Cela fait plaisir de savoir que l’on fait partie des coureurs capables de remporter une course comme ça dans le futur donc je vais travailler dur pour essayer de succéder à Monsieur Jalabert !
Vous terminez 7e de l'Amstel, 2e de la Flèche Wallonne. Avec Alejandro Valverde, vous êtes les deux seuls coureurs capables de terminer dans le top 10 des trois courses du triptyque alors ... que doit-on attendre de vous à Liège ?
Je ne sais pas... Pour ma première participation à Liège-Bastogne-Liège, je vais découvrir. Mon objectif premier sera d’aider Michal Kwiatkowski. Je ne me pose pas de questions. Je ne suis pas de prise de tête. J'ai la motivation et une bonne forme en ce moment. On a encore une très forte équipe au départ. On verra comme se passe la course.
Un changement de statut est-il à prévoir pour Liège ? On se doute que vous n'allez pas être leader unique, mais pourquoi pas "dispensé d'efforts" ?
Mon statut ne va pas changer de suite, il ne faut pas s’enflammer ! Je suis content de mes derniers résultats, il y a une continuité, une progression et beaucoup de travail en amont de cela, donc même si je suis très content de mes performances, cela ne va pas changer la stratégie de l’équipe. Kwiatkowski est le leader désigné et il a le potentiel pour gagner. Il a déjà réalisé de nombreux podiums sur ces courses-là. Moi, c’est ma première participation et je suis là pour découvrir et épauler du mieux que je le pourrais notre leader. Avec ma forme actuelle, je suis le coureur qui, normalement, doit être le dernier à aider Michal. Contrairement à la saison dernière, je ne dois pas rouler pour contrôler la course ou pour chasser les échappés. Liège, c’est encore 250 kilomètres et un profil plus escarpé. Cela risque d’être une belle course !
Justement, il y a un monde entre les profils de l'Amstel et la Flèche Wallonne. Certains coureurs peuvent être de purs puncheurs, mais incapable de battre un groupe au sprint, comme Purito par exemple. Et vous, quel profil de coureur êtes-vous finalement ?
Je suis plus un puncheur. J’arrive à aller assez vite en petit groupe, dans un final escarpé ou après une course usante. Je sais très bien que je ne suis pas un pur sprinteur. Je n’ai pas les qualités pour un sprint massif face aux grands sprinteurs mais oui, j’arrive à aller assez vite lors des arrivées en petit comité, tout comme j’aime aussi les arrivées type Mur de Huy, où même si c’était la première fois, je m’y suis senti bien. Un mélange de puncheur avec une bonne pointe de vitesse dirons-nous ! Je sais que j’ai du punch et une bonne pointe de vitesse, mais c’est sûr que je ne suis pas un pur grimpeur de cols.
La saison ne s’arrête pas à Liège dimanche. Compte tenu de vos performances récentes, quels objectifs vous fixez-vous ? Les championnats de France ? D’autres classiques ?
Le premier objectif, c’est d’être très concentré pour Liège. Ensuite, je me rendrai sur le Tour de Romandie pour épauler Rigoberto Uran, qui a des ambitions pour le classement général avant le Giro. Ensuite, je ne sais pas trop. Il risque d’y avoir du changement avec les blessés. Je ne sais pas si j’irai au Dauphiné ou au Tour de Californie et après, je me rendrai au championnat de France, avant d'aller sur un Grand Tour qui sera la Vuelta.
Pas de Tour donc ? Surtout quand on sait que ce dernier empruntera le Mur de Huy lors d'une de ses arrivées.
Je n’y pense pas vraiment. Je suis concentré sur les courses actuelles, des courses que j’ai préparées. Le Tour je n’y pense pas. J’ai envie de le faire prochainement. Pour mon apprentissage, l’équipe juge que c’est mieux que j’aille sur la Vuelta donc je n’y vois pas d’inconvénient. Je préfère continuer ma progression comme ça et faire ce que l’équipe juge le mieux pour moi. Quand je serai désigné pour le Tour de France, je serai prêt pour le faire. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Il ne faut pas s’emballer.
On vous sent très mature pour votre âge… Selon vous, doit-on vous considérer comme un coureur d’avenir ou du présent ? Même si vous ne progressiez plus, le niveau atteint est déjà très haut…
C’est sûr qu’il faut penser à l’avenir, en termes de progression avec les années et au fil des courses, j’espère être plus fort. Je suis plutôt du genre à vivre au jour le jour et à prendre tout ce qu’il y a à prendre, et apprécier tout ce qu’il m’arrive. Je donne mon maximum à chaque course, que ça soit pour l’équipe, pour protéger mon leader ou jouer ma carte. Je pense à mes objectifs à court terme. Bien sûr, je pense à mon avenir, mais ce n’est pas ma priorité, je me concentre sur ce que je dois faire actuellement et c’est en faisant ça que l’on devient plus fort. Penser trop à demain, c’est oublier aujourd’hui !
L’équipe de France, parlons-en. Avec ces résultats, vous pouvez prétendre au leadership, ou du moins au co-leadership avec Tony Gallopin non ?
C’était en pourparlers avec Bernard Bourreau, le sélectionneur, qui m’a enlevé de la sélection au dernier moment l’année passée, car je n’étais pas en super condition. Cela va être un parcours qui sera aussi dans les cordes de Tony Gallopin. J’aimerais y participer et je sais que l'équipe alignée au départ sera performante. Si je fais partie de l’équipe, c’est avec plaisir que je donnerai mon maximum pour aider Tony s’il est leader, ou peu importe le leader d’ailleurs, mais oui, ce serait une bonne expérience que j’y participe.
Vous êtes chez Etixx-Quick Step au milieu de coureurs comme Uran, Kwiatkowski, Boonen ou encore Terpstra, n’est-ce pas finalement une pression supplémentaire pour vous ?
Ce n'est pas pression du tout. Je ne m’en mets aucune, l’équipe ne me la met pas non plus. Je n'ai pas de complexes. Au contraire, c’est une motivation supplémentaire que de savoir qu’à quasiment chaque course à laquelle on prend le départ, on a un coureur capable de s’imposer. On est dans les meilleures conditions possibles avec des coureurs très forts, avec de l’expérience, des coureurs qui ont déjà gagné beaucoup de grandes courses. Quand on est jeune comme moi et que l’on doit travailler pour des coureurs comme ça, cela donne envie de se surpasser davantage.
Vous confiez hier que les consignes données dans le final par votre DS étaient en anglais… Vous vous y êtes fait ?
J’aime bien au contraire. Cela me force à être encore plus concentré. C’est une bonne expérience pour moi, je suis très content d’apprendre avec Etixx-Quick Step. J’ai pris le risque quand j’étais à l’Armée de Terre de partir dans une équipe étrangère, j’avais un peu ce goût-là pour l’aventure, l’envie de découvrir autre chose. J’ai arrêté l’école assez tôt, je parlais peu anglais, mis à part les mots de politesse et au fur et à mesure. Je me débrouille, quand je ne comprends pas, je demande et maintenant, j’arrive à m’exprimer un petit peu. Je comprends bien les briefings, on se comprend bien entre coureurs. Quand j’écoute les consignes de course au briefing, ou à l’oreillette pendant la course, ça me force à être encore plus concentré pour bien comprendre ce que mon directeur sportif me dit. Je trouve que c’est marrant, j’aime bien, ce n’est pas quelque chose qui me freine.
Surtout qu’à ce rythme-là, l’anglais risque de vous être très utile !
On y est de plus en plus confrontés. J’apprends sur le tas, avec les coureurs, en parlant. Je me suis donné ce défi d’apprendre avec l’équipe sans me prendre la tête non plus et pour l’instant cela ne se passe pas trop mal. J’arrive à m’exprimer. Dans l’équipe, beaucoup de personnes parlent en français, coureurs ou staff, donc je ne suis pas à la rue du tout, je me sens très bien dans l’équipe. Pour moi, c’est comme une famille, je passe beaucoup de temps avec eux.
Propos recueillis par Benoit Laurenti.
Retour sur deux jours qui ont révélé Julian Alaphilippe
Dimanche à l'arrivée de l'Amstel Gold Race, Julian Alaphilippe éclatait de joie après la victoire de son coéquipier Michal Kwiatkowski : "Tu ne peux pas imaginer le bonheur qu'on ressent en voyant devant soi le champion du monde lever les bras". Trois jours plus tard, en Belgique cette fois-ci, sur la Flèche Wallonne, le jeune Français de 22 ans a bien failli imiter son célèbre équipier ! Deuxième derrière le maître du Mur de Huy, Alejandro Valverde (Movistar), le coureur de la formation Etixx-Quick Step a confirmé sa 7e place sur l'Amstel et a surtout validé ses prédispositions naturelles pour les Ardennaises. Mais, ce n'est pas tout, mercredi lors de sa première participation à la Flèche, il a fait bien plus que cela ! Avec son podium à Huy, il a mis fin à 15 ans de disette sur la deuxième classique du triptyque ardennais, puisque cette performance n'avait plus été réalisée par un Français depuis 2000, et la 3e place de Laurent Jalabert.
"Je suis content et déçu à la fois, j'arrive pour la gagne sur une des plus belles courses du calendrier. Une deuxième place, c'est toujours une défaite, mais Valverde ce n'est pas n'importe qui", avait-il déclaré à l'AFP. Sa 2e place, il est allé la chercher à la pédale et avec les tripes, car le Mur de Huy est une ascension qui ne trompe pas, et qui sacre souvent, voire toujours, les meilleurs coureurs du peloton mondial.
Le natif de Saint-Amand-Montrond n'avait pourtant pas cet objectif de podium en tête au départ de la course, car son rôle initial était de protéger son leader Kwiatkowski : "L’objectif était de placer Michal dans les premières places au pied du Mur. On l'a fait, mais il y a eu un flottement. C'est monté très vite : j'ai perdu Michal de vue. J’étais devant lui, j’avais de bonnes jambes, et mon directeur sportif Tom Steels m'a dit : "Allez Julian, tu peux le faire !". Je me suis retrouvé devant, avec Valverde et Rodriguez".
Mais, Alaphilippe était cependant trop juste pour la gagne, qui plus est sur une ascension qu'il découvrait : "J'avais trop d'acide lactique dans les jambes. La douleur a vraiment été intense dans les 200 derniers mètres. La montée du Mur, c’est horrible, les jambes vous brûlent, l’acide lactique est dans vos muscles".
Malgré une légère pointe de déception de passer si près d'une victoire de prestige, le Montluçonnais peut maintenant avoir de très grands espoirs pour la suite de sa carrière : "Je suis sur le podium face à deux grands coureurs. Ça me donne de l’espoir de progresser pour gagner un jour ce genre de course. Les classiques vallonnées me conviennent. Je m’entraîne dur. Les sacrifices paient". Les sacrifices, la famille Alaphilippe connaît cela, puisque les parents ont tout fait pour que leurs deux fils, Julian et Bryan, qui court à l'Armée de Terre, réussissent dans le cyclisme. Tout ce projet de vie est en train de se concrétiser en cette année 2015. Et les déclarations de ses coéquipiers, de Kwiatkowski en passant par Mark Cavendish, qui s'était déclaré "heureux d'avoir assisté à la naissance d'un champion" lors du Tour de l'Ain 2014, entérinent le fait qu'Alaphilippe vient de passer dans la cour des grands.
Pour arriver à ses fins, et après sa participation à Liège-Bastogne-Liège, où il faudra aussi le suivre de près, le puncheur formé à la dure loi du cyclo-cross retournera dans son Auvergne natale, qui regorge de côtes ardennaises, pour franchir ce dernier pallier, et pour pourquoi pas réussir ses objectifs de carrière ?