INTERVIEW - Stéphane Heulot : «Maxime Van Gils... je l'ai senti venir de loin»

Par Cyclism'Actu le 14/12/2024 à 20:00. Mis à jour le 14/12/2024 à 20:01.
INTERVIEW - Stéphane Heulot : «Maxime Van Gils... je l'ai senti venir de loin»
INTERVIEW
Photo : @Cyclism'Actu / Alex Carera

Le manager général de la formation belge Lotto Dstny, Stéphane Heulot, a vécu des dernières semaines compliquées, notamment en raison du départ prématuré de Maxim Van Gils vers Red Bull-BORA-hansgrohe. Lotto Dstny, 9e meilleure équipe en 2024, peut être invitée à toutes les épreuves WorldTour si elle le souhaite malgré son statut de ProTeam, cependant, comme l'année dernière, l'équipe belge va renoncer à s'aligner au départ du Tour d'Italie. Stéphane Heulot a expliqué son choix durant un entretien avec Cyclism'Actu, mais il est aussi revenu sur l'affaire Maxim Van Gils, sur les différences de budgets en WorldTour ou encore sur le sponsoring... En bref, plus de 20 minutes d'interview à regarder en vidéo ou à lire ci-dessous. 

Vidéo - L'Entretien Cyclism'Actu... avec Stéphane Heulot

 

"Je ne suis pas en accord avec ce genre de phénomène"

L'affaire Maxim Van Gils, comment vous l'avez vécu ?

Il n'y avait pas grand-chose à faire. Il y a plusieurs points. Le premier, c'est que la loi belge est très permissive donc , d'un point de vue juridique, on pouvait évidemment faire une action, maintenant ce ne sont pas non plus nos valeurs de bloquer un coureur sept-huit mois. C'est un coureur qui nous a donnés beaucoup. Il est dans l'équipe depuis sept ans, et c'était son choix, mais c'était tardif. Je ne suis pas en accord avec ce genre de phénomène mais il va falloir, je pense, s'y habituer, face à ces équipes qui n'ont pas le respect des contrats. C'est compliqué, on avait une vision pour les trois prochaines années avec Maxim, Lennert Van Eetvelt et Arnaud De Lie, ça nous a aussi obligé à faire des choix par rapport à des coureurs qui ne sont pas restés. Ce qui est dommage, c'est que cela arrive au mois de novembre. Derrière, c'est compliqué de garantir à nos sponsors un projet signé.

 

Vous avez été surpris par ce qu'il s'est passé ?

Disons qu'après le Tour, Maxim m'a contacté pour me dire qu'il avait changé d'agent en la personne d'Alex Carera, donc j'avoue que je l'ai senti venir de loin...

 

Et en 2025, il y a le cas Jarno Widar

C'est autre chose. Evidemment, oui. Le cas se présente aujourd'hui, on y travaille mais ce qui est sûr c'est qu'on ne va pas se laisser faire à chaque fois, et là on va probablement montrer les dents.  


"Il y a tellement de différence entre les budgets"

Le cyclisme est-il en train de devenir comme le football ?

Oui. Maintenant, il y a des lois qui nous contraignent à cela. Une loi belge et une loi européenne qui fonctionne dans le football. Il n'y a pas de raison que cela ne s'étende pas au cyclisme. Il y a tellement de différence entre les budgets des plus grosses équipes et les autres... C'est vrai qu'on ne peut pas faire face. Les agents, c'est une donne qui est apparue dans les dix dernières années de manière massive. Maintenant, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Il y a des gens qui font très bien leur travail et d'autres qui ont un peu moins de valeurs et de respect pour les contrats, même si derrière cela, ils mettent en avant la volonté du coureur. Le problème est souvent autour de l'argent.

 

L'argent, le nerf de la guerre ?

Il va falloir légiférer très rapidement tout ça au niveau de l'UCI pour la simple et bonne raison qu'aujourd'hui, s'il y a quatre-cinq équipes qui regroupent tous les meilleurs coureurs du monde, on va perdre en intérêt. Le sport cycliste est un combat, c'est toujours très compliqué de ne voir que les mêmes maillots devant. Forcément, c'est l'argent qui fait la différence. Nous, on arrive à tirer notre épingle du jeu, on est depuis deux ans dans le top 10, maintenant avec un budget plus proche de 15 millions que de 20, cela nous emmène forcément à réfléchir à tous les détails. On s'attaque à notre coeur, le développement, c'est l'axe de l'équipe, et on s'aperçoit qu'aujourd'hui des formations n'hésitent pas à attaquer tout de suite nos jeunes prodiges.

 

Le salary-cap, la solution ?

Je ne sais pas si c'est vraiment la solution. On en a déjà discuté avec l'UCI et même avec l'IGCP. Le souci, c'est qu'il y aura toujours un moyen de détourner pour ne pas respecter ce salary-cap. Par de l'argent directement donné aux coureurs via des sponsors, et je ne pense pas que cela sera contrôlable. Je n'ai pas moi-même la solution, le budget-cap peut en être une, il y a d'autres propositions sur la table, mais encore une fois il faut voir ce qui peut être faisable et comment cela peut être détourné par certains. 

 

De moins en moins de classe moyenne dans les équipes cyclistes... à l'image de la société ?

Oui, bien sûr. Après, je ne m'estime pas pauvre avec un tel budget, qui reste conséquent. Mais c'est vrai que même si ça fait partie de l'évolution du cyclisme, ce n'est pas une situation qui est globale, ça se limite à une minorité dans le WorldTour. C'est évident qu'aujourd'hui, on est pauvre, demain on sera très riche. Il faut juste garder le cap des valeurs et du respect. Certains ont changé leur fusil d'épaule à partir du moment où ils ont eu des budgets qui ressemblent à des puits sans fond. Ce n'est pas cohérent, et le cyclisme va perdre beaucoup en intérêt.  

 

"On va de nouveau skipper le Giro"

La saison 2025 de Lotto Dstny... comment on la sent malgré certains départs ?

C'est une déception de perdre Maxim, quand on a re-signé en février, je n'avais pas du tout idée qu'il puisse scorer à ce point. Je pense aussi que d'avoir une lecture sur ces trois prochaines années l'a mis dans un état mental relativement serein et donc ça a été une grosse saison pour lui, mais encore une fois, on a 11 coureurs qui ont gagné, et il y a des belles promesses qui arrivent avec Alec Segaert, qui est encore à l'école je le rappelle. On repense nos plans mais encore une fois on va essayer de faire de cette contrainte une opportunité. C'est un challenge, on sait qu'on peut plus souffrir que ces deux dernières années, mais je refuse de rentrer dans ce schéma de pensées. Pour nous, l'objectif est de maintenir cette place malgré ces désagréments de fin d'année. 

 

Vous avez revu vos plans... Quels sont ces plans ?

L'avantage, c'est que l'on a encore le choix de notre calendrier en étant une ProTeam. L'idée, c'est vraiment d'adapter le programme à notre effectif. On sera que 25 l'année prochaine, on était 28 cette année, avec encore une fois 4 coureurs qui viennent de notre équipe de développement. Forcément, le calendrier est un petit peu réduit et adapté à nos capacités. On va de nouveau skipper le Giro, même si j'avais cette volonté en début d'année de pouvoir amorcer le retour au WorldTour en essayant d'enchaîner les trois Grands Tours. 

 

Donc Tour et Vuelta en 2025... On a vu de belles choses d'Arnaud De Lie sur le Tour, pareil en 2025 malgré un terrain de jeu peu propice aux sprinteurs ?

Arnaud De Lie n'est pas un pur sprinteur donc j'ai envie de dire que plus c'est cabossé, mieux c'est. Evidemment, je parle à l'arrivée, pas en montagne. Les choses ont été faites de manière à ce que cela éclate un petit peu le peloton, donc je pense qu'Arnaud justement fait partie des sprinteurs capables de passer ces difficultés-là. On a aussi Lennert Van Eetvelt, que l'on espère épargné en 2025 de toutes les blessures qu'il a eues, parce que malgré ça, il a quand même gagné deux courses à étapes WorldTour cette année. Il fera ses débuts dans le Tour de France, pour viser le classement général, je ne sais pas, sûrement plus pour découvrir et essayer d'aller chercher des étapes visées.  

 

Patrick Lefevere... c'est un monument

Quelle est l'idée pour les classiques ?

Toujours le souhait et l'objectif d'en décrocher une, ou une semi-classique. On a un potentiel pour cela. On n'est pas passé très loin l'an passé sur le Nieuwsblad, on a fait de belles choses avec Florian Vermeersch, mais il nous quitte aussi. C'était un peu le serpent à deux têtes sur les classiques avec Arnaud, là, c'est vrai qu'on va se retrouver un peu orphelin de Florian, même s'il nous a pas du tout servis cette année puisqu'il s'est brisé le fémur en février. Mais derrière, je vois des Cédric Beullens, des Jenno Berckmoes, des Brent Van Moer qui aiment les classiques donc on sera présent.

 

Le cyclisme se détache-t-il des valeurs humaines ?

Je ne sais pas. J'ai toujours conçu le vélo de cette facon-là. Il y a une partie mécanique, mais un coureur dans un environnement favorable performera beaucoup plus que le même coureur qui se retrouve dans une équipe où il ne se sent pas considéré et apprécié. Le même coureur va performer à 75-80%, alors qu'il pourrait être à 110% dans un autre environnement.

 

Des managers partent comme Lefevere, d'autres arrivent comme Serieys, comment vous voyez tout cela ?

J'ai la conviction que Patrick ne va pas disparaître totalement puisqu'il va rester au conseil de surveillance de l'équipe. Mais j'ai envie de dire que c'est la vie. C'est vrai que Patrick, en Belgique, c'est un monument et dans les autres pays aussi je crois. Son palmarès est phénoménal. On ne peut pas réaliser ce qu'il a fait. Sur certains points, il peut être un exemple pour beaucoup.  


"Être une équipe belge, ce n'est pas toujours évident..."

C'est votre troisième année à la tête de Lotto Dstny, comment ça se passe ?

Je ne suis pas tout seul, dans cette "success-story", parce qu'on est à 130% de ce qu'on peut faire. Encore une fois, par rapport aux moyens limités et aux moyens des autres, c'est compliqué. Mais je ne connais pas un manager qui dirait que c'est un métier simple. J'ai l'habitude de dire que quand je n'ai qu'un problème par jour, c'est une bonne journée. On apprend à vivre avec cela, on est toujours dans la quête de solution et ça fonctionne. Être une équipe belge, ce n'est pas toujours évident parce qu'on a une presse flamande qui est très agressive. Ils ont une forme d'éthique qui leur correspond, dans le sens où ils ont tendance à raconter des choses qui ne sont pas vérifiées. C'est particulier, dans le même pays, on a la partie francophone qui fonctionnent plus à la française sur ce côté-là...

 

Cela vous touche personnellement ces critiques ?

De moins en moins dans le sens où je sais d'où ça vient et que cela serait donner trop d'importance à ce qui n'en a pas. On va dire qu'on a beaucoup moins de choses comme ça sur Patrick Lefevere ou sur Jean-François Bourlard... Pourquoi Lotto ? Je n'ai pas la réponse, mais on fait notre travail, c'est le plus important pour moi.


Comment le manager général de la Lotto Dstny pourrait être un homme comblé ?

Déjà, que l'on puisse conclure tous les bons contacts qu'on a. Trouver le deuxième nom pour l'équipe, je pense que c'est en bonne voie mais la situation économique n'est pas simple. On va commencer la saison avec seul Lotto dans le nom mais pour aborder l'année 2026, où l'on devrait revenir en WorldTour, il est important qu'on puisse étoffer notre effectif. C'est l'urgence. Sur le plan sportif, cela serait que chacun passe un cap. On a gagné 25 courses cette année, je n'ai pas envie de fixer des objectifs sur ça. Le vélo n'est pas une science exacte, il va falloir faire preuve de résilience, on va appliquer les mêmes consignes.  

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