INTERVIEW - Dominique Serieys : «DG de Decathlon AG2R ? J'ai cru à un canular»

Par Arthur DE SMEDT le 11/12/2024 à 20:03. Mis à jour le 11/12/2024 à 22:00.
INTERVIEW - Dominique Serieys : «DG de Decathlon AG2R ? J'ai cru à un canular»
INTERVIEW
Photo : @Cyclism'Actu / CyclismActu.net

Depuis 2024, l'équipe Decathlon AG2R La Mondiale est rentrée dans une autre dimension, aussi bien sportivement avec une saison historique sur le plan des résultats, que structurellement, avec l'arrivée du nouveau sponsor Decathlon et un changement d'organigramme qui a propulsé Dominique Serieys comme véritable patron de la structure française - après plus de 30 ans passés sous la direction de Vincent Lavenu. Mais connaissez-vous vraiment le nouveau boss de la formation savoyarde ? Passionné de rallye automobile et copilote, passé par le rugby et le club du Racing 92, l'homme de 63 ans s'est dévoilé en exclusivité dans un entretien long format accordé à Cyclism'Actu au lendemain de la grande présentation de son équipe à Lille, à la Decathlon Arena, avant une saison 2025 qui doit être celle de la confirmation.

Vidéo - Les confidences de Dominique Serieys au micro de CyclismActu

 

"Oui, je suis nouveau dans le vélo... mais je n'ai peur de rien !

Dominique Serieys, on est au lendemain de la grande présentation de l'équipe Decathlon AG2R La Mondiale avant la saison 2025... Qu'est-ce qu'on se dit ?

On se dit qu'il s'est déjà passé une année, qu'on va déjà attaquer dans quelques semaines la saison 2025... et que ça va trop vite !

 

C'était une belle présentation, avec tous les coureurs. Cela permet de prendre conscience de ce qu'on l'on a entre les mains et de ce qu'on dirige ?

Pas trop non plus, car si on en prend conscience, il serait fort probable qu'on soit affolé ou qu'on ait envie de s'arrêter ! Car c'est tout de même un métier qui est difficile et prenant, ça représente plusieurs centaines et milliers d'heures toute l'année. Mais c'est quand même une passion, donc on regarde tout devant, et on essaye de rester humble et bien assis avec les pieds sur terre.

 

C'est quoi le plus difficile à gérer ?

Le plus difficile, c'est le temps. Il joue contre nous, ou avec nous, ça dépend. Il faut suffisamment de temps pour pouvoir faire ce qu'on a à faire et être le mieux préparer possible à chaque début de saison.

 

Du coup, est-ce que le temps joue en votre faveur ?

Non, car je pense que le temps est un ennemi de tout le monde. Mais il n'y a pas que ça. Par rapport à la question posée, il y a aussi avec qui on travaille, comment on s'entoure, qui on recrute, quelle est le rapport de confiance instauré dans l'équipe, et la confiance que l'on reçoit en retour.

 

Parlons un peu de vous. Comment on passe du rugby et de la direction du Racing 92 au cyclisme ? Racontez-nous !

C'est une opportunité qui est arrivée d'une façon assez fortuite. L'appel d'un cabinet de recrutement, chasseur de têtes, qui me dit que je rentre dans une cible de personnes d'expérience, avec un palmarès et des moments de réussite. Je réponds positivement à cette demande, à cet appel.

 

Et quand vous avez reçu cet appel, qu'est-ce que vous vous êtes dit ?

Entre nous, et pour vous dire la vérité, je pensais que c'était un canular. Car l'offre devait rester confidentielle, et je ne savais pas pour qui c'était, et où c'était... Donc je me suis dit que c'était quelqu'un dans mes relations qui me faisait une blague. J'ai presque dénoncé cette sollicitation au début, puis il y a eu un deuxième contact qui a été plus concret. J'ai signé un contrat de confidentialité, et les démarches ont été établies assez rapidement après ça, avec différents parcours et entretiens...et j'ai été retenu ! Je n'étais pas le seul candidat, je n'étais pas certain d'être retenu, mais ma valeur ajoutée, c'est que je suis vraiment très passionné de cyclisme. 

 

Plus que le rugby ?

Non, pas plus. Ce sont des sports qui me correspondent. Les valeurs du rugby, celles du cyclisme et celles que j'ai pu connaître pendant mes décennies dans le sport automobile, ce sont des valeurs de vraies personnes engagées, de respect, de jusqu'au-boutisme, d'abnégation... et je m'y retrouve. J'avais donc envie de relever ce défi, et j'avais bien compris quel était le challenge. Je me suis dit : pourquoi pas !

 

"Un homme qui était l'artisan de cette équipe... mais qui à un moment donné la desservait"

C'est un sacré défi, car cette équipe a quand même une histoire, elle n'est pas anodine dans l'histoire du cyclisme ?

Tout à fait. Si vous voulez, je vais faire un parallèle avec ce que j'ai connu pendant mes 18 ans chez Mitsubishi. Pendant neuf ans, j'ai été coéquipier de plusieurs pilotes, majoritairement aux côtés de Bruno Saby (avec qui il remporte le Rallye Dakar 1993, ndlr) et de l'Espagnol Miguel Prieto. Et quand j'ai pris la direction de l'équipe japonaise (en 2001), je me suis retrouvé dans une situation un peu similaire à celle d'aujourd'hui avec Decathlon AG2R, dans laquelle le préparateur automobile était un indépendant. Dans mon plan stratégique avec Mitsubishi, je les ai convaincus de racheter le sous-traitant. Et j'ai été confronté à peu près à la même situation, à la différence près que c'est moi qui ai mené le rachat ici.

Et je voyais bien les enjeux et les différentes étapes que j'allais rencontrer avec une équipe de plus de 30 ans d'expérience, qui a marqué plusieurs décennies avec un homme qui était l'artisan de cette équipe... mais qui à un moment donné desservait l'équipe. Car les choses évoluent très vite, avec une hyper-professionnalisation. Le fait d'avoir accepté de vendre sa structure pour la pérenniser, il y avait une passation qui était à écrire. L'issue n'est malheureusement pas celle que j'aurais souhaitée, en toute sincérité, mais je voyais malgré tout les enjeux de repositionner cette équipe en dehors d'une certaine lassitude, avec de nouvelles habitudes.

Dans un sport de haut niveau et aussi professionnel que le cyclisme, l'enjeu c'est de se remettre en question. Mon apport à cette équipe, ça a été de leur dire : "Pourquoi vous participez à des courses ? Et qu'attendent nos partenaires ?" Ma vision et mes priorités m'ont permis de mettre en place cette structuration de l'équipe qui avait déjà été prédéfinie avant mon arrivée. Je me suis focalisé sur la partie administrative, opérationnelle, financière, structurelle, logistique. Mon rôle, c'était de veiller, vis-à-vis de la situation de 2023 que vous connaissez bien, à ce qu'on revienne à un classement UCI en 2024 plus confortable pour attaquer une année 2025 tout aussi difficile.

 

L'arrivée de Decathlon, c'est grâce à vous du coup ?

Non. En toute honnêteté, elle est menée par la consolidation d'AG2R La Mondiale, qui automatiquement asseoit la solidité de l'équipe et qui derrière est aux côtés de sollicitations de partenaires, en l'occurence Van Rysel et Decathlon. Les accords ont été signés pour le premier avant mon arrivée, et le second juste après, en septembre 2023.

 

"C'est utopique et irréaliste de vendre à nos partenaires et actionnaires qu'en 2025, on va gagner le Tour de France. Je ne suis pas un vendeur de poudre de perlimpinpin"

Forcément, après une telle saison 2024, la question qu'on se pose, c'est où vous allez emmener cette équipe ? Il nous manque un vainqueur français du Tour...

Le projet de ces cinq années d'engagement de Decathlon et de Van Rysel... Vous savez, dans tout ce que j'ai pu analyser depuis 18 mois, ça a été de comprendre où étaient certaines équipes comme UAE, INEOS, Visma il y a cinq à dix ans, et comment elles ont évolué pour arriver à ce niveau-là. Ce ne sont pas forcément mes modèles, mais ils font partie d'un cadre de modèles. Il faut prendre l'ensemble des trois ou cinq meilleures équipes et comprendre leur parcours. Effectivement, il y a plusieurs facteurs. Nous aujourd'hui, pour les années 25, 26, 27 et 28, on a défini depuis maintenant plus d'un an une vraie stratégie qu'on ajuste au fur et à mesure des années. L'année 2025 est une année de consolidation. Car on sait que pour arriver demain à gagner des grandes courses, des Monuments ou un des Grands Tours, ça prend du temps.

Bien sûr, si on veut être un peu fanfaron, ce qui n'est pas du tout mon cas, si en début d'année, on nous avait dit qu'on se retrouverait pendant 13 jours en tête de La Vuelta devant un grand champion comme Roglic et qu'on terminerait deuxième, même au sein de l'équipe, je pense que plusieurs personnes m'auraient ri au nez. Cela veut dire qu'il y a quand même des choses qui sont possibles. Mais attention, car il y a des équipes très compétitives, comme UAE avec Pogacar, Visma l'an prochain avec un Vingegaard revenu à 100%... Il va nous falloir du temps.

C'est utopique de vendre à nos partenaires et actionnaires qu'en 2025 on va gagner le Tour de France. Ce n'est pas réaliste, je ne suis pas un vendeur de poudre de perlimpinpin. Mais si on veut arriver à nos objectifs pour 2028, il est certain qu'on est dans une voie de construction. Les années 2026, 2027 et 2028 seront des années d'ambitions. Mais pour y arriver, cela necessite la mise en place cette année de l'équipe NewGen, de la détection, la formation... On travaille de façon très assidue sur le recrutement des prochaines années.

Sur 2025, nos objectifs sont tous aussi prioritaires qu'en 2024, avec toujours beaucoup d'humilité. Il faut respecter nos partenaires, mais aussi nos adversaires et la concurrence. On doit nous continuer à mieux préparer les épreuves, à créer un bon fonctionnement interne, à recruter pour le staff, et à mettre en place les méthodes que les grosses équipes utilisent en terme de préparation (reconnaissances, stages...). Cela prendra plusieurs années pour que certaines générations qu'on a recrutées soient au rendez-vous.

 

Comment on juge l'année historique de votre équipe en  dans ce cas ? C'est la force et la chance du débutant ? 

Non, je pense qu'on a aussi bénéficié de quelques circonstances, comme ce qui a pu se passer au niveau des différentes chutes. Mais les coureurs ont aussi vraiment perçu dans les dialogues, il y a quasiment un an jour pour jour ici en Espagne, quelle était la façon de s'engager : c'est d'y aller pour gagner. Il y a aussi eu l'émulation liée à l'arrivée de Decathlon, l'excellent matériel que les coureurs ont eu, et la volonté de se surpasser. 2023 a par exemple été très compliquée pour Ben O'Connor, et il a fait la meilleure année de sa carrière en 2024.

 

"Le départ de Ben O'Connor ? Ce n'est pas vexant, la période d'amour et la vie de couple entre lui et l'équipe étaient consommées"

Et vous n'avez pas réussi à le garder ? Ce n'est pas vexant ?

 C'est un sujet qui est antérieur à ma venue, sur lequel on n'est jamais devin. Et non, ce n'est pas vexant car je connais exactement les raisons pour lesquelles Ben a souhaité ne pas rester, et elles ne sont en aucun cas budgétaires ou financières. Car on avait une proposition en main qui était identique voire supérieure à celle qu'il pouvait avoir dans l'équipe où il part (Team Jayco AlUla, ndlr).

Mais c'était aussi un choix personnel, je pense que c'était le moment pour lui de revenir dans une équipe anglo-saxonne, et surtout avec une connotation australienne. Et avant ma venue, il y a également eu des blessures, des traitements qui l'ont marqué, notamment sur le Tour de France 2023. Enfin, et ça on est en train de le faire changer, il y a eu une certaine pénalisation d'une équipe française qui ne veut pas faire d'effort pour parler anglais. Derrière, au niveau de la compréhension de la vie et de l'intégration, cela ne correspondait pas à ce que Ben souhaitait à l'avenir. Mais on a gardé d'excellentes relations. "C'est dommage que je ne reste pas", ce sont ses mots lorsqu'on s'est revu fin novembre.

 

Donc si vous étiez arrivé avant, peut-être que Ben O'Connor serait encore chez Decathlon AG2R La Mondiale en 2025 ?

Vous le savez mieux que moi, avec des si on peut réussir à réécrire beaucoup d'histoire, sans parler de refaire le monde. Je pense que ce qu'on a construit ensemble, les échanges qu'on a eu toute l'année et notamment sur La Vuelta, ça a fait que nos relations étaient vraiment sincères, où il avait, comme tous les coureurs ont à mes côtés, mon entière confiance. Le paramètre qui fait que la page s'est tournée, c'est que les périodes "d'amour" et la vie de couple entre Ben et l'équipe ont été consommées. Donc on garde de très bonnes relations, et on ne sait jamais de quoi l'avenir est fait. Je lui souhaite la meilleure suite possible à sa carrière. Il est 4e au classement UCI, et il nous a fait comprendre que l'équipe était capable de remporter et gérer de grandes courses. Là, c'est sa décision, il ne faut pas chercher des excuses, et c'est à nous d'en tirer les conclusions. 

 

Avec votre force de l'expérience : cette deuxième année, il faut confirmer, voire faire mieux ?

C'est sûr qu'il faut confirmer, mais il faut surtout se consolider, et c'est encore une fois le mot de cette année 2025. Confirmer, ça veut dire quoi ? On est 6e au classement UCI, quand on voit les cind devant nous, on n'a pas à pâlir. Et INEOS est derrière nous, qui le double de notre budget...

 

"26 millions d'euros en 2024, et 28 millions en 2025. INEOS, c'est deux fois plus..."

Quel est le budget de l'équipe du coup ?

Nous, c'est 26 millions d'euros en 2024, et ce sera 28 millions en 2025. De ce que je peux savoir sans en être totalement sûr, c'est qu'INEOS est à 58 millions d'euros. Donc 2025 est une année importante, mais je n'ai pas plus de pression, et je n'en mettrais pas plus que celle que j'ai pu avoir et mettre au début de 2024. Car la pression ne nourrit pas tout le temps le résultat, au contraire ça peut deservir. Et il faut aussi continuer à avoir la même conviction que nous travaillons bien. Il y a des chances qu'on fasse une saison légèrement inférieure à celle exceptionnelle de 2024. On s'est fixé des objectifs, on souhaite rester dans le top 10, pas forcément viser le top 5. Entre 8 et 10, ce serait une bonne consolidation. Et le Tour de France sera notre priorité. 

 

Le Tour de France 2024 vous reste en travers de la gorge ?

Non, pas du tout et je vais vous dire pourquoi. Parce que c'est sans doute un mal propre aux équipes françaises de ne pas comprendre que la préparation d'un Tour, ça s'anticipait. Et ça, les équipes étrangères l'ont bien mieux compris. Reconnaître les parcours, travailler sur la vidéo, définir vos lieux de stages en fonction des étapes importantes, s'entraîner dans les descentes, les chronos... Tout ça et tellement d'autres détails de préparation, ça doit se travailler. Et si vous ne le faites pas, et bien il n'y a aucune amertume à avoir.

 

"Les équipes françaises ne travaillent pas comme les équipes internationales..."

Donc les équipes françaises travaillent mal ?

Pour moi, elles ne travaillent peut-être pas mal, mais elles ne travaillent pas comme les équipes internationales.

 

Vous n'avez pas peur de vous mettre à dos toutes les équipes françaises ?

Mais moi je n'ai peur de rien, c'est juste un constat. Je n'ai pas eu besoin d'une intelligence artificielle pour faire cette analyse, vous pourriez aussi la faire. Quand on regarde le calendrier des top coureurs, comme celui de Pogacar. Il fait le Giro, et après on ne le voit plus jusqu'au Tour car il le prépare.

 

Mais aujourd'hui, est-ce que votre leader actuel, Felix Gall, est assez fort pour rivaliser avec des coureurs comme Pogacar ou Vingegaard ?

Non, pas aujourd'hui. Il nous faut un vrai leader, et on a déjà des idées pour ça. On va former et recruter en conséquence. Il y a des jeunes garçons comme Léo Bisiaux ou Paul Seixas. Il y a près de 40 ans qu'un Français n'a plus gagné le Tour de France. C'est un très beau projet, mais c'est un projet qu'il faut qu'on construise. Former le futur vainqueur français du Tour, ça fait partie de nos gros objectifs. Il y a aussi Paris-Roubaix. Quand vous avez identifié ces choses-là, vous en avez des frissons. Mais aujourd'hui, il faut rester les pieds sur terres, rester honnête et franc avec les partenaires et avec vous, les journalistes. On va travailler, on va avoir des périodes difficiles, on va faire des choix. Mais je n'ai aucune appréhension pour 2025.

 

"Un possible vainqueur français du Tour de France dans 3 à 5 ans... c'est un vrai objectif"

Revenons à vous Dominique... Vous venez d'arriver dans le milieu du vélo, vous n'avez pas peur avec votre discours de bousculer les instituions mises en place, de révolutionner la façon de faire des équipes françaises, et donc de déranger ?

D'abord, je n'ai pas peur. J'ai mon intégrité, et j'ai ma sincérité. Ce que je suis en train de dire, c'est peut-être ce que beaucoup de personnes pensent tout bas.

 

Alors pourquoi vous, vous avez le culot de le faire ?

Car c'est ma mission. Aujourd'hui, mon patron et mes partenaires me l'ont demandé. Quand vous avez derrière vous des gens qui investissent beaucoup et qui attendent des retours, ils ont besoin que vous leur disiez la vérité. On n'a aucune garantie qu'on va y arriver, mais sincèrement, dans mes expériences passées, je me suis toujours investi à 200%, car je suis un battant et un gagnant. Et c'est en prenant les bons ingrédients, en recrutant les bonnes personnes. Il faut recruter des gens meilleurs que soi, et il faut une confiance avec les gens, c'est important qu'ils vous fassent confiance.

 

Et comment vous instaurez cette confiance alors que vous venez d'arriver dans ce milieu ?

C'est le feeling que vous transmettez aux gens, et la délégation que vous donnez aux bonnes personnes. Quand vous faites ça, vous leur donnez la possibilité de faire leur travail. Ils peuvent se tromper, mais ce n'est pas un soucis, il ne faut juste pas reproduire les mêmes erreurs deux fois. Et cette confiance, elle se retrouve aussi avec nos partenaires, notre matériel, nos équipes de jeunes, des paramètres qui nous apportent un réel confort. On a une vrai vision pour la suite.

 

Donc dans 3 à 5 ans, on aura un possible vainqueur français du Tour de France ?

Oui, c'est un vrai objectif. Et je suis sincère. Regardez Pogacar, les premières années où il gagne le Tour. Là il a 26 ans. Vous voyez très vite que la précocité des jeunes, leur formation, leur talent, si c'est bien encadré, c'est quelque chose qui est envisageable. Après, il faut le faire avec respect et humilité. Il ne faut pas être exubérant, car ça dessert tout le temps. Je vois les relations que je peux avoir avec Richard Plugge ou Mauro Gianetti. Tout ce que je peux apprendre de ce qu'ils font et la façon dont ils le font, je me nourris.

 

"Marc Madiot, Cédric Vasseur... des gens de référence pour moi, mais peut-être aussi usés"

Et avec les directeurs d'équipes françaises, Marc Madiot, Cédric Vasseur et autres ?

Si bien sûr, on s'entend bien. Je garde un très grand respect pour Marc Madiot, j'ai de bonnes relations avec Cédric. Elles sont excellentes avec Manu (Emmanuel) Hubert, qui lui traverse une période difficile, et il faut le soutenir. C'est l'artisan du cyclisme qui souffre, il faut l'aider. Mais j'ai tout autant de bonnes relations avec Cédric Vasseur, que je peux en avoir encore plus avec Marc Madiot, qui lui me connaît très peu, mais moi je l'ai vu pendant des années courir, et je n'ai pas oublié qu'il a déjà gagné Paris-Roubaix. Ce sont vraiment pour moi des gens de référence. Mais, peut-être qu'au bout d'un certain temps, avec toutes les années investies, et les moyens humains dépensés, vous arrivez aussi par être usé. Ces missions, je me les fixe pour cinq ans maximum. Car si je dis vrai, depuis l'année dernière, j'ai pris seulement une semaine de congé, en 18 mois...

 

Vous êtes en train de mettre un gros coup de pied dans la fourmilière...

Peut-être pas. Sans doute qu'il va y avoir un virage générationnel. Ce que je fais, et ce qu'on a pu mettre en place avec Decathlon AG2R La Mondiale, d'autres en sont capables. Sans doute que j'arrive avec un regard plus novateur. Je m'interroge sur tout ce qu'on peut faire, car j'arrive d'un milieu où, quand on partait faire différentes courses autour du monde, on n'y allait pas avec notre voiture pour faire 10 000 kms... Je me suis rendu compte par exemple pour les contrats des coureurs qu'il ne sont pas appropriés en terme de timing, vis-à-vis de la fin de saison sur route et du mercato. Il faut changer la durée des contrats, qu'ils démarrent le 1er novembre et qu'ils s'arrêtent le 30 octobre. On a sollicité l'AIGCP et l'UCI...

 

Et ils vous ont écouté ?

Oui, ils l'ont compris. Car parfois, quand vous êtes dans une activité, vous ne voyez par qu'il y a des fonctionnements et dysfonctionnements à faire évoluer. Cela a interpelé tout le monde de dire : "mais en fait Dominique, ce que tu nous dis, c'était devant nous, et on ne le voyait pas". Donc mon regard nouveau, c'est juste que j'ananlyse tout et j'essaye de comprendre.

 

Est-ce que donc votre force, ce n'est pas justement que vous ne veniez pas du monde du vélo, et que vous ameniez une autre approche ?

Sans doute ! Et vous l'avez vu déjà dans ce que vous avez pu voir ou entendre ailleurs. Cela s'est reproduit dans d'autres disciplines, parce que l'être humain, quand il arrive dans un environnement qu'il ne connaît pas, il va se poser des questions qui fondamentalement sont bonnes. Et il va aller tester les choses à mettre en place, comme on l'a fait en mode bêta-testeur cette année. Donc oui, certainement que cet oeil nouveau, le fait de se remettre en question, c'est un peu la marque de fabrique de gens qui arrivent d'un milieu du sport automobile, qui est beaucoup moins physique que le rugby et encore plus que le cyclisme. Il ne faut rien négliger.

 

Au fait, d'où vient votre accent ?

De Montpellier. Mes parents habitent au Nord de Montpellier, dans un petit village qui s'appelle Saint-Bauzille-de-Putois, à côte de Ganges. Et dans mes différentes évolutions et transhumances à travers toute la France, je me suis dit qu'il fallait que je garde mon accent. Car ça apporte parfois une petite touche de soleil, et puis on ne peut pas renier ses origines, il faut les assumer. Bon, au rugby, ça n'a pas tellement été le grand amour quand j'étais au Racing 92, qui était souvent en conflit avec Montpellier.

 

"Ceux à qui je fais peur ? Rien ne peut les empêcher d'être meilleurs que nous"

Vous nous avez dit n'avoir peur de rien. A ceux qui éventuellement pourraient avoir peur de vous, qu'est-ce que vous leur dites ?

Qu'il n'y a rien qui peut les empêcher d'être meilleurs que nous. J'ai connu dans ma carrière des moments difficiles face à des gros constructeurs. Oui, je ne nierai jamais que l'argent et les moyens étaient nécessaires. Souvent, j'ai eu des échanges avec Jean Todt, et il me disait : "il y a un élément important dans ce sport qui est onéreux, c'est d'avoir les moyens et la confiance de tes patrons". Aujourd'hui, j'ai la confiance de mes patrons et de mes partenaires, j'ai une vraie détermination, car c'est ma nature. Mais nos concurrents sont tous aussi capables que nous de performer et de faire des résultats.

 

"Léo Bisiaux ou Paul Seixas pour gagner le Tour ? Si je le savais.."

Une dernière question... Léo Bisiaux ou Paul Seixas pour gagner le Tour de France dans les prochaines années ?

Ah, si je le savais, je vous donnerais le numéro de l'Euromillion pour jouer et se partager les gains ! Je ne saurai pas vous dire, car il y a tellement de paramètres, celui de la blessure, de l'encadrement... Je pense qu'on est responsable au niveau de ces deux jeunes. J'ai pris le temps nécessaire pour discuter avec leurs parents. Je suis papa, j'ai quatre enfants. Et on a une vrai responsabilité, j'ai une vraie responsabilité. Et je la gère comme si c'était mes propres enfants. Mais ce qui est agréable avec cette physionomie de garçons, que ce soit Paul ou Léo, c'est qu'il y a une vraie détermination quand vous échangez avec eux. Quand vous leur demandez leur projet sportif, leur vision, ça fait partie des rares enfants - même s'ils sont maintenant tous les deux majeurs - qui ont une vision claire de leurs objectifs, et le Tour de France fait partie de leurs objectifs.

 

Un dernier mot pour conclure : vous êtes un homme heureux Dominique ?

Oui, je le suis ! Car ça fait 45 ans que je travaille et que je vis d'une passion, donc je n'ai pas l'impression que je travaille.

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