INTERVIEW - Cyrille Guimard : «Les directeurs sportifs, ils existent encore ?»

Par Titouan LABOURIE le 06/11/2024 à 19:10. Mis à jour le 11/11/2024 à 17:08.
INTERVIEW - Cyrille Guimard : «Les directeurs sportifs, ils existent encore ?»
INTERVIEW
Photo : @Cyclism'Actu / Sirotti

La saison 2024 est terminée... et celle de 2025 approche à grands pas. L'occasion de retrouver Cyrille Guimard - ancien directeur sportif et sélectionneur de l'équipe de France - pour sa chronique habituelle chez Cyclism'Actu. Le bilan de la saison, la domination de Tadej Pogacar et d'UAE Team Emirates, le parcours du Tour de France 2025, le mercato, les contrats de plus en plus exorbitants... "le Druide" a évoqué tous ces sujets et bien plus encore dans l'interview à regarder et/ou à lire ci-dessous.

Vidéo - La Chronique Cyrille Guimard... pour Cyclism'Actu

 

"Tadej Pogacar a dominé la saison du début à la fin"

Qu'est-ce que tu retiens de cette saison?

Eh bien, la première chose, c'est que Tadej Pogacar l'a dominée du début à la fin, avec une maîtrise absolument extraordinaire. On a un autre personnage qui a aussi maîtrisé le début de saison, Mathieu van der Poel. Et puis le réveil français sur le début de l'année, avec un certain nombre de victoires rafraîchissantes, dans la mesure où, même si pour la plupart ce n'était pas les grandes épreuves WorldTour, c'est toujours bien de gagner, ça donne envie de recommencer, ça donne confiance à titre personnel, mais également sur le plan collectif. J'ai aussi envie de dire merci aux équipes pro d'avoir fait le nécessaire pour que les Français soient prêts pour les Jeux Olympiques, avec ces 2e et 3e places, qui sont quand même assez extraordinaires.

 

"Ce n'est pas anormal qu'UAE domine de cette façon-là aujourd'hui"

Si on revient un peu sur la domination Tadej Pogacar, ce n'est pas que sa domination, mais celle de toute l'équipe UAE Team Emirates. Est-ce que la saison de l'UAE en 2024 est supérieure à celle de Jumbo-Visma en 2023 ?

C'est difficile... Les 3 Grands Tours, un podium complet sur l'un d'eux, pour la Jumbo-Visma, personne ne l'avait encore jamais fait. Mais ça va très vite aujourd'hui, pour mémoriser ce qui s'est passé il y a un an ou deux, il faut presque aller chercher les archives. Et cette domination d'UAE fait passer au second plan l'exploit de Jumbo-Visma l'an dernier. Il y a toujours des explications, on n'est pas une année au-dessus de tout le monde et l'année d'après mauvais. Je pense que, d'abord, il y a eu la grave chute au Pays basque avec Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel... Ces deux coureurs avaient quand même une influence sur le déroulement de la saison qui a suivi, ce qui a peut-être aussi un peu favorisé UAE.

Et quand le leader voltige, les équipiers voltigent. Quand vous avez un grand leader, vous avez de grands équipiers. Ces mêmes équipiers dans une autre équipe sans grand leader, de vous retirer 20% de rendement. La motivation collective, c'est quelque chose d'extraordinaire. Et j'ai eu la chance de connaître ce genre d'épisodes, remontez au Tour de France 1984 et vous comprendrez ce que je veux dire, on avait quand même gagné 10 étapes, en faisant 1 et 3 du classement général. Lorsqu'il y a cette euphorie de la victoire, ça gagne, c'est logique, c'est normal. Et c'est d'autant plus logique que c'est l'équipe qui a le plus gros budget et qui a par voie de conséquence les meilleurs coureurs, les meilleurs jeunes... Maintenant, est-ce que ça va durer longtemps ou pas ? C'est un autre sujet. Mais ce n'est pas anormal qu'UAE domine de cette façon-là aujourd'hui, compte tenu des éléments que je viens d'apporter.

 

"Le tracé du Tour 2025 ? Ce n'est pas le parcours qui fait la course"

Le parcours du Tour de France 2025 a été dévoilé. Qu'est-ce que tu en penses ?

C'est bien de penser beaucoup de choses sur le parcours, sauf que vous n'avez aucune maîtrise sur la course. On sait que ce n'est pas le parcours qui fait la course, ce sont les coureurs qui vont s'adapter au type de parcours. Et plus un parcours est difficile, plus les coureurs sont sur la réserve, les stratèges des équipes maîtrisent aussi au maximum ceux qui pourraient les mettre en danger par des offensives pas très bien pensées. Tout parcours trop difficile bloque la course. Mais on peut se rendre compte que le Tour se joue sur 3 ou 4 étapes, pas sur les 21. Sauf que chaque étape est un des éléments du puzzle, qui va permettre à un moment de faire la décision. Est-ce qu'on peut être satisfait du parcours ? Oui, parce que, à priori, on a le sentiment que c'est équilibré. On en reparlera à l'arrivée du Tour.

 

A qui convient le mieux ce parcours ? Et est-ce qu'au final, sur sa forme de 2024, peu importe le parcours, il conviendra à Tadej Pogacar ?

Il convient toujours au plus fort. A l'époque où j'étais directeur sportif, je commençais à regarder le parcours à trois semaines du Tour, pas avant. Parce que vous avez une première vue le jour de la présentation. Puis, six mois avant, vous savez quels coureurs vous allez sélectionner, mais trois mois plus tard vous en avez un tiers out. On dit que c'est un parcours pour Pogacar, pour Vingegaard... mais seront-ils au départ ? Alors à quoi ça sert de faire des scénarios quand on ne sait même pas quels sont les acteurs ? Et les acteurs, dans quel état seront-ils ?

 

"Lenny Martinez qui part chez Bahrain Victorious..."

Parlons un peu du mercato, qui a été un peu plus calme que l'année dernière. Quels sont les transferts qui t'ont marqué du coup ?

Je trouve qu'on n'en parle pas énormément, mais c'est celui de Julian Alaphilippe chez Tudor. Il part dans une équipe qui n'est pas WorldTour, accompagné par Marc Hirschi, qui a été le meilleur coureur sur les deux derniers mois de la saison. Ça, c'est un mercato qui est intéressant. Ils sont loin du WorldTour, mais ils vont chercher à y aller et ont fait un recrutement XXL. Et ça, ça me paraît très intéressant. Pour le reste de l'ensemble des transferts. C'est relativement calme. Rappelez-vous, y a un an, c'était des équipes qui fusionnaient, d'autres qui se rachetaient. On était loin de la tranquillité et de la sérénité de cette année.

Il y a aussi Lenny Martinez, qui est intéressant à suivre parce qu'il part chez Bahrain Victorious, une équipe qui n'est pas obligatoirement en phase avec notre culture et peut-être même tout simplement celle des Martinez, qui ont une certaine culture, une certaine idée de ce qu'est le vélo, que ce soit avec le papa, le tonton, le grand-père... Comment va-t-il s'adapter dans ce monde-là ? Je n'ai pas trop peur pour lui, mais c'est quand même quelque chose qui va être intéressant. Partir dans une équipe dont on a du mal à connaître la vraie culture, qui est un petit peu en deuxième rideau... parce que Bahrain Victorious, ce n'est pas l'équipe qui fait rêver aujourd'hui. Peut-être que Lenny arrivera à faire en sorte que l'on rêve de cette équipe, mais ce sera à mon avis difficile.

 

On entend parler de chiffres de plus en plus exorbitants dans le cyclisme, avec des salaires de 8 ou 10 millions par an, et des contrats sur 5 ou 6 saisons, pour des coureurs toujours plus jeunes. Comment tu évalues cette tendance ?

C'est une évolution qu'on a commencé à avoir depuis quelques années. À une époque, on signait des contrats pour les jeunes de deux années. Et je suis bien placé pour en parler, puisque le premier contrat à exister, c'est moi qui l'avais fait, à l'époque où j'étais président du syndicat des coureurs. Donc l'obligation de deux années pour des néo-pros, ça a été conservé. Ensuite, au fil des années, les choses ont évolué, les budgets aussi. Et puis on a les équipes arabes qui sont arrivées, des compétitions qui sont apparues également là-bas. Et là on arrive aujourd'hui avec des équipes qui n'ont pas de budget fixe, ils ont le budget nécessaire pour faire la meilleure équipe, donc ils ont la possibilité de faire des contrats longue durée avec des rémunérations qui sont à la hauteur du talent des coureurs. Mais moi, ça ne me choque pas. Je ne connais pas les clauses, mais il doit bien y avoir des clauses de sortie d'un côté ou de l'autre. On ne se marie pas à vie sans possibilité d'en sortir.

 

"Est-ce que les directeurs sportifs existent encore aujourd'hui ?"

Personnellement, dans ce monde du cyclisme en 2024, où il y a de plus en plus d'argent, où les jeunes sont recrutés de plus en plus tôt... est-ce que ça te plairait d'être manager d'une équipe ou directeur sportif ?

Déjà, est-ce que les directeurs sportifs existent encore aujourd'hui ? Maintenant, dans la voiture, vous avez des gens qui ont l'appellation directeurs sportifs, mais qui sont surtout des gens qui communiquent à la radio. Avant, un directeur sportif, c'était le patron de l'équipe. Aujourd'hui, quand vous prenez un coureur professionnel, il a au minimum sept référents dans son équipe. Sept référents avec lesquels il va avoir des relations différentes. Il a le directeur sportif, l'entraîneur, le psy, le préparateur mental, le masseur, le diététicien... Le coureur n'a plus un seul patron dans une équipe, mais six, sept ou huit. D'autant plus que selon les courses, vous n'avez pratiquement jamais le même directeur sportif, ou très peu. Il y a 40 ou 50 ans, les organigrammes étaient très clairs et simples. Les choses sont beaucoup plus compliquées parce que, en plus, au-dessus, vous avez un manager général, avec là aussi des responsabilités différentes. Dans les équipes que j'ai dirigé, on était à moins de 50, alors que maintenant on est à 150, c'est une véritable entreprise. Donc, on ne peut plus regarder les choses de la même façon.

Je pense qu'aujourd'hui, être coureur cycliste ne doit pas toujours être très marrant. Et puis il y a une conséquence à tout ça, c'est le nombre de coureurs qui passent en burn-out. En 25 ans, on avait deux ou trois coureurs qui sont passés en burn-out, c'est tout. Aujourd'hui, c'est trois ou quatre par an. Donc on ne maîtrise pas très bien les choses.

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