Analyse - Les oreillettes mettent vraiment en danger le cyclisme ?
Depuis leur apparition au sein des pelotons dans les années 1990, les oreillettes font débat. Ce gadget, permettant aux coureurs de communiquer avec leurs directeurs sportifs dans les voitures et avec leurs coéquipiers pendant la course, est régulièrement évoqué dans des polémiques. Deux questions reviennent constamment sur la table : les oreillettes gâchent-elles le spectacle ? Les oreillettes causent-elles des problèmes de sécurité ? Pour répondre à ces questions, Cyclism'Actu vous propose de faire le point sur la situation actuelle.
Vidéo - Le débat des coureurs autour de la sécurité dans le cyclisme
Les oreillettes rendent les courses ennuyantes... fantasme ou réalité ?
Notamment au cours des années 2010, où le Team Sky écrasait la concurrence en cadenassant la course lors des étapes de montagne, les oreillettes ont souvent été accusées de gâcher le spectacle. Mais ces dernières saisons, les tactiques ont changé et les cartes ont été rebattus. Que ce soit sur les Classiques, les étapes de montagne ou de baroudeurs, la course se lance de plus en plus loin de l'arrivée et le spectacle est au rendez-vous. Cette amélioration n'est pas due aux oreillettes, dont l'utilisation n'a que très peu changée, mais plutôt à des courses de plus en plus rapides, difficiles, et à l'arrivée d'une nouvelle génération de coureurs qui rebat les cartes.
Lors des compétitions internationales, les coureurs n'ont pas d'oreillettes, ce qui a souvent laissé place au fantasme disant que la course est donc plus ouverte, mais quand est-il vraiment ? Prenons l'exemple des derniers Jeux Olympiques, où la course a été considérée comme "folle" par les spectateurs. Là où une partie des suiveurs se trompent, c'est en pensant que l'absence d'oreillettes rend la course beaucoup moins cadenassée, alors que ceci s'explique pour d'autres raisons. Premièrement, les JO sont une course spéciale, qui se court par équipes nationales (et non de marque), avec des coureurs qui se connaissent moins et des équipes globalement moins homogènes. Le parcours était lui aussi propice à des offensives lancées loin de l'arrivée. Mais ce qui a fait la vraie différence, c'est le nombre de coureurs par équipes. En effet, avec seulement 4 coureurs maximums par nations, la course est quasiment impossible à contrôler, ce qui laisse place à des scénarios de folie... oreillettes ou pas.
Manque d'informations... une course à l'aveugle
Pour rester sur le même exemple des Jeux Olympiques, l'absence des oreillettes pose un problème de compréhension de la course. En effet, comme nous avons pu le voir à l'arrivée, les coureurs ne savaient même pas quelles places ils jouaient. Christophe Laporte (France), 3e, pensait être en-dehors du podium, tandis qu'Attila Valter (Hongrie), 4e, pensait lui qu'il avait terminé 3e. Certes, le manque d'informations permet quelques fois d'avoir des courses encore plus indécises, mais cela revient presque à faire courir les cyclistes à l'aveugle. Pour pousser la comparaison avec d'autres sports, imaginez un match de football ou de rugby sans tableau d'affichage, une Grand Prix de Formule 1 sans informations radios...
En revanche les oreillettes permettent de mettre en place des tactiques ingénieuses, qui seraient impossibles à exécuter sans elles. Sans ce gadget, la communication entre les coureurs eux-mêmes et avec leurs directeurs sportifs est beaucoup plus difficile. Aurait-on eu de si belles courses comme l'étape du Col du Granon sur le Tour de France 2022, l'étape du Finestre sur le Giro 2018 ou l'étape de Cauteret sur le Tour de France 2023 sans les oreillettes ? Sûrement pas. D'autant plus que les courses sans oreillettes laissent souvent place à la frustration du côté des téléspectateurs, en regardant les coureurs faire des erreurs tactiques grossières par manque d'informations.
La sécurité, le vrai problème
La sécurité est l'un des problèmes majeurs dans le cyclisme. Entre les nombreuses chutes impressionnantes (Tour du Pays basque, A Travers la Flandre, Critérium du Dauphiné...) et les décès tragiques en course de Gino Mäder et Muriel Furrer, la question de la sécurité et des risques que prennent les cyclistes se pose de plus en plus. Et les oreillettes jouent un rôle dans ce danger constant qu'affrontent les coureurs. En effet, certains moments de tension, notamment à l'approche de l'arrivée ou de parties clé, permettent aux directeurs sportifs d'inciter, par exemple, leurs coureurs à se replacer, entraînant des moments de grande nervosité en course. L'entièreté du peloton reçoit les mêmes consignes aux mêmes moments, de DS qui leur demande sans cesse de rester grouper à l'avant. Problème, il n'y a pas de la place pour tout le monde dans les 20 premières positions... ce qui cause régulièrement des accrochages, voire des chutes.
En revanche, les oreillettes permettent aussi aux directeurs sportifs d'indiquer des zones dangereuses à leurs coureurs. Ou inversement, un coureur présent en échappée, peut avertir ses collègues dans le peloton d'un danger sur la route. Pareil en cas d'une manifestation ou d'autres événements inattendus. Sur le Tour de Pologne, où l'utilisation des oreillettes était restreinte pour un test réalisé par l'UCI, de nombreux coureurs se sont pleins que des chutes auraient pu être évitées s'ils avaient été informés des dangers présents sur la route. Dans le cas Muriel Furrer, les oreillettes auraient également pû permettre aux coureurs présents à côté de la Suissesse, voire à Furrer elle-même, de prévenir les voitures suiveuses de la chute et de l'endroit où elle se trouvait.
Route - Muriel Furrer... 1 h à terre, seule... avant qu'on ne s'en aperçoive ? #Furrer #RIP #Zurich2024 #MurielFurrer #UCI #Swiss https://t.co/iaVEwHXf0N #cyclisme #cycling
— Cyclism'Actu (@cyclismactu) October 1, 2024
Quelle solution ?
Comme pour chaque sujet, rien n'est tout blanc ou tout noir, et c'est aussi le cas pour les oreillettes. Faisant partie intégrante des courses cyclistes depuis de nombreuses années, il sera difficile de s'en passer. D'autant plus que - comme expliqué ci-dessus - les oreillettes apportent également de bonnes choses, tant sur le point de vue du spectacle que de la sécurité. La diabolisation de ce gadget est un cheval de bataille, conduits par certaines personnes complètement perdues par la réalité du cyclisme contemporain. Les acteurs actuels s'opposent d'ailleurs en grande majorité à l'interdiction des oreillettes. En revanche, certaines mesures pouvant modérer leur utilisation, afin de limiter le stress dans le peloton et les consignes parfois préjudiciables que les coureurs reçoivent, pourraient être une bonne chose.
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— Cyclism'Actu (@cyclismactu) August 15, 2024