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Marc Madiot : «Tadej Pogacar ? Je n'ai pas d'avis, on verra bien»

INTERVIEW
Mis à jour le par Nicolas GAUTHIER
Photo : @Cyclismactu / CyclismActu.net

Après Lenny Martinez (Groupama-FDJ), avec qui Cyclism'Actu eu l'occasion de s'entretenir mardi, c'est son futur ex-manager général, Marc Madiot, qui a répondu à nos questions ce mercredi. L'occasion bien évidemment de parler avec le Mayennais du départ pour la Bahrain Victorious du jeune Cannois de 21 ans, passé par tous les échelons de la Groupama-FDJ (programme Juniors, La Conti et la WorldTeam) et qui va mettre ses immenses qualités au service d'une autre structure l'année prochaine, mais aussi de faire le bilan de la saison 2024 de sa formation, qui se termine mieux qu'elle n'avait commencé. David Gaudu, la situation de crise dans laquelle se trouve le cyclisme français, la prochaine éléction pour la présidence de la Fédération Française de Cyclisme (FFC), Tadej Pogacar (UAE Team Emirates)... Marc Madiot a également évoqué tous ces sujets dans un entretien qui est à lire et regarder ci-dessous.

Marc Madiot... au micro de Cyclism'Actu !

 

"On a connu une saison 2024 compliquée"

Marc Madiot, avec quel sentiment sortez-vous de cette saison 2024 pour votre équipe Groupama-FDJ ?

Ça n'a pas été une année simple. On a perdu des coureurs d'entrée de jeu avec des commotions cérébrales et des problèmes liés à des chutes importantes, ce qui fait qu'on n'a jamais été à 100% de nos moyens et de nos effectifs sur toute la saison. Rudy Molard, Ignatas Konovalovas et Paul Penhoët ont été longuement blessés, David Gaudu a été en difficulté les six premiers mois de la saison... tout cela fait qu'on a connu une saison compliquée.

Fort heureusement, grâce à l'engagement et au travail de tout l'encadrement, ainsi qu'à la volonté des coureurs, on a pu faire un exercice 2024 correct, même si on sait qu'on n'a pas fait un grand Tour de France. On a fait des choses intéressantes, surtout dans la seconde partie de saison, soit quand on a commencé à récupérer tout le monde en bon état de marche. Tout ça me fait dire que si on est capables de repartir en 2025 sur les même bases que lors de cette fin de saison, on devrait être opérationnels.

 

15 succès pour la Groupama-FDJ lors de cette saison 2024, soit moins que lors de chacun des huit exercices précédents... pour vous qui aimez particulièrement la victoire, c'est dérangeant ?

Notre sprinteur (Paul Penhoët) n'a pas pu scorer puisqu'il était blessé, donc ça limite vite le champ d'action puisqu'on sait tous que, hormis pour Pogacar, il vaut mieux être sprinteur pour décrocher des victoires. Ça a été un handicap pour nous. Après, ça fait partie de la vie d'une équipe, ça ne peut pas pas être linéaire saison après saison, et il est normal et logique qu'on ait, de temps en temps, des difficultés qu'on a du mal à maîtriser et réguler.

Pas de victoire d'étape sur le Tour de France depuis 2019 (Thibaut Pinot au sommet du Tourmalet, NDLR) ? Gagner une étape sur le Tour, c'est souvent dû à un heureux concours de circonstances pour les équipes. Il faut déjà parvenir à être dans la bonne échappée, et il faut être dans une échappée dans laquelle on est avec des gens qu'on est sûr de maîtriser et de battre, donc il y a beaucoup de choses qui ne dépendent pas de notre propre initiative. Quand on en gagne une, on est très heureux et satisfaits, mais c'est très facile de basculer du côté où on ne gagne pas.

 

"David Gaudu, je le remercie d'avoir tenu le choc"

Ça a été un ouf de soulagement d'avoir vu David Gaudu retrouver un excellent niveau en fin de saison ?

David, il a eu un début de saison très difficile, avec des chutes et le Covid, et il a donc eu des difficultés à enchaîner l'entraînement et les compétitions. Sa première partie de saison a ainsi été très compliquée, mais je le remercie d'avoir tenu le choc et d'avoir pu se remettre sur de bons rails par la suite, et notamment sur le Tour d'Espagne. Il a réussi à rebasculer dans la bonne direction et vers des choses intéressantes, donc bravo à lui et l'encadrement d'avoir pu repartir sur de bonnes bases dès le lendemain du Tour de France.

 

Personnellement, est-ce que vous commenciez à douter du fait qu'il puisse retrouver son niveau ?

Ah non, je n'ai jamais douté de ça, jamais. C'est toujours une question de temps et d'enchaînement. Aujourd'hui, dans la sphère médiatique et sur les réseaux sociaux, on encense vite... mais on condamne encore plus rapidement. Le vélo est un sport d'endurance qui demande beaucoup d'engagement et de sacrifices, et puis les choses ne sont jamais linéaires pour tout le monde. Il y a des moments délicats, donc il faut vivre avec ça et surtout intégrer le fait que quand on est en difficulté, il faut continuer à travailler et à se mettre dans une bonne dynamique pour aller chercher les résultats qui reviendront derrière si on s'investit suffisamment.

 

Il y a eu des soucis physiques pour David Gaudu, mais on a aussi l'impression que sa quatrième place sur le Tour de France en 2022 et sa deuxième sur Paris-Nice 2023 lui ont fait plus de mal que de bien mentalement parlant...

Oh non, mais non, on ne peut pas dire ça. Les résultats qu'il a obtenus étaient très intéressants parce qu'il était dans une phase linéaire. Le Tour où il termine quatrième, il n'y avait eu aucun incident de parcours lors de sa préparation. Et c'est pareil quand il fait deuxième de Paris-Nice, tout s'était bien emboîté pour qu'on fasse ce podium. Ce qui est vrai dans un sens est aussi vrai dans l'autre, c'est-à-dire que quand on a des difficultés, il est compliqué de rétablir la situation, surtout quand les mauvais ingrédients et l'impondérable perturbent la progression.

 

"Lenny Martinez sur le Tour ? On peut dire que c'est une erreur mais..."

Avec le recul, considérez-vous que mettre Lenny Martinez sur le Tour de France, ça a été une erreur ?

Non. On peut dire que c'est une erreur, mais si on ne l'avait pas fait, on n'aurait pas eu la réponse. On a eu cette place qui se libérait dans l'équipe et on s'est dit pourquoi pas ? Après, à partir du moment on on rentre dans un pari, dans une espèce de défi, on sait qu'on peut réussir, on l'espère, mais on peut aussi passer à côté et on est passés à côté. On l'assume.

 

De l'extérieur, on a eu l'impression que l'incorporer dans l'équipe du Tour avait été fait sous le coup de la panique après le Covid contracté par David Gaudu quelques jours avant le Grand Départ ?

Non, pas du tout ! La situation Martinez n'était en rien liée à celle des autres coureurs de l'équipe, que ce soit Gaudu ou d'autres. Par rapport au calendrier de préparation et de courses qu'on avait mis en place avec lui, on avait toujours gardé cette option et cette possibilité, sans en parler dans les médias ou sur les réseaux. On avait dit pourquoi pas, et ce pourquoi pas, on l'a utilisé.

 

"Lenny Martinez avait peut-être d'autres ambitions..."

Lenny Martinez va quitter votre équipe. Vous avez tout fait pour le garder ?

On n'a sûrement pas tout fait puisqu'il ne reste pas chez nous (rire). 

 

Vous n'aviez peut-être pas les moyens de le garder alors ?

C'est une histoire de moyens, mais chacun fait aussi ses choix et se détermine par rapport à ses propres capacités. Il avait peut-être d'autres ambitions, c'est la loi du marché.

 

Vous a-t-il expliqué pourquoi il avait décidé de quitter Groupama-FDJ pour Bahrain Victorious ?

Vous irez lui poser la question.

 

On l'a eu hier (mardi) et il n'a pas vraiment répondu, disant qu'il aurait certainement progressé autant en restant chez Groupama-FDJ qu'il allait sûrement le faire chez Bahrain Victorious.

C'est ce que j'ai lu... (sourire).

 

Il parle de gagner le Tour de France. Qu'en pensez-vous Marc Madiot ?

Je lui souhaite de gagner le Tour un jour. J'ai l'un de mes anciens coureurs, Bradley Wiggins, qui l'a gagné, donc ça me ferait plaisir qu'il y en ait un autre. En est-il capable ? Je n'en sais rien. Vous savez, quand Wiggins est parti, on n'était pas spécialement persuadés qu'il allait gagner le Tour de France, et pourtant il l'a fait. Je souhaite à Lenny d'aller le plus haut et le plus loin possible, et on en aura toujours une satisfaction au niveau de l'équipe.

 

Il n'y aucune animosité entre vous et Lenny Martinez ?

Absolument aucune, c'est la vie.

 

"Qu'est-ce qu'on fait si on ne fait pas de la formation ? Qu'est-ce qu'on fait ?"

Laurence Pithie et Samuel Watson vont également partir (le premier chez Red Bull - BORA-hansgrohe et le second chez INEOS Grenadiers). Ces départs de jeunes coureurs que vous avez lancés ne remettent-ils pas en cause ce système de formation que vous adoptez ?

Alors qu'est-ce qu'on fait si on ne fait pas ça ? Qu'est-ce qu'on fait si on ne fait pas de la formation et si on ne s'intéresse pas aux jeunes pour faire tourner l'équipe ? Qu'est-ce qu'on fait ? Ces coureurs, on les perd tôt désormais pour une histoire de moyens et de concurrence. De grands partenaires étatiques ou de sponsoring sont arrivés sur le marché du vélo, ça a clairement créé une inflation, ce qui rend difficile de conserver tous les coureurs. On arrive quand même à en garder certains quand même. On aurait bien voulu continuer, on le souhaitait, mais il y a le business du cyclisme qui fait que c'est compliqué.

 

Les départs de ces trois coureurs vont fatalement vous causer du tort ?

Mais il y a des arrivées de coureurs* qui sont opérationnels et comblent nos aspirations. On a fait le recrutement dans ce but-là en tout cas. Quand on recrute quelqu'un, on y croit. 

*Guillaume Martin (Cofidis), Clément Braz Afonso (CIC U Nantes Atlantique), Tom Donnenwirth (Decathlon AG2R La Mondiale Development Team), Johan Jacobs (Movistar Team) et Brieuc Rolland (La Conti Groupama-FDJ) garniront les rangs de la Groupama-FDJ en 2025

 

"Que faut-il faire pour sauver le cyclisme français ? Il faut trouver des millions"

Parlons désomais de l'état du cyclisme français. De nombreux articles alarmants et alarmistes sortent dans les journaux depuis quelque temps. Êtes-vous d'accord avec tout ce qu'il se dit actuellement ?

Ces articles sortent à juste titre, et ça va au-delà du fonctionnement du cyclisme professionnel. Aujourd'hui, si vos parents n'ont pas des moyens conséquents, vous ne pouvez tout simplement pas faire de vélo. Si j'avais été en âge aujourd'hui d'être coureur cycliste, mes parents n'auraient pas eu les moyens de me payer un vélo pour faire des courses. Voilà, on en est là aujourd'hui. Quand j'ai commencé à courir, c'était beaucoup les fils de paysans ou d'ouvriers qui faisaient du vélo, mais c'est de moins en moins le cas de nos jours. Le cyclisme est devenu un sport de riches, c'est un sport qui coûte cher.

Et pour ce qui est du secteur professionnel, on sait très bien qu'en France, nous ne sommes pas en situation d'être compétitifs par rapport un certain nombre d'équipes, et ce n'est pas propre qu'au cyclisme. On retrouve les mêmes difficultés dans de nombreux sports. Notre économie cycliste est basé sur un retour sur investissement pour les partenaires et sur une image à valoriser en fonction du budget engagé. De plus, il y a une législation administrative, juridique et sociale en France qui fait que c'est difficile. Que faut-il faire pour sauver le cyclisme français ? Il faut trouver des millions. On va avoir des récessions.

 

"J'ai du respect pour Michel Callot, mais..."

Une élection fédérale va avoir lieu mi-décembre, et on a pu lire ou entendre que vous aviez apporté votre soutien à Teodoro Bartuccio, qui est l'un des deux candidats - avec Michel Callot, qui brigue un troisième mandat - à la présidence de la Fédération Française de Cyclisme (FFC).

Je ne suis pas en soutien, soutien, mais j'ai de la sympathie pour lui. J'ai du respect pour Michel Callot, mais quand on veut modifier l'équilibre qui a été créé pendant une dizaine d'années au sein de la Ligue Nationale de Cyclisme (LNC), avec les équipes continentales et leur statut professionnel, ainsi qu'une cohésion entre les équipes, les organisateurs, le syndicat des coureurs pour le bon fonctionnement du cyclisme français... Quand on veut amener là-dedans des équipes continentales fédérales sans couverture sociale, on ne progresse pas. On n'est pas dans le progrès social, mais dans la récession. Alors si on veut supprimer des postes d'encadrement dans les équipes continentales et si on veut supprimer des contrats de travail pour des gamins qui débutent dans le métier, alors on n'a qu'à faire ce qui se présente...

 

Si on comprend bien, vous souhaitez donc du changement à la tête de la Fédération Française de Cyclisme ?

Je ne souhaite rien du tout, et déjà je n'ai pas de bulletin de vote. Je n'en ai même jamais eu dans la main pour les élections fédérales, jamais, et ce alors que j'ai été coureur pendant une bonne vingtaine d'année et que je suis patron d'une équipe depuis 25 ans. Ce n'est pas propre à ma personne, mais en disant cela, j'essaye de faire comprendre que le système ne fonctionne plus. Les grandes réformes du sport datent du général De Gaulle, ça commence à dater....

 

"Comment qualifier Tadej Pogacar ? Je n'ai pas d'avis sur la question"

Pour finir, dites-nous un petit mot sur Tadej Pogacar. Comment peut-on le qualifier cet homme-là ? Est-il un homme déjà (sourire) ?

Je pense que c'est un homme et moi je ne le qualifie pas.

 

Il est inqualifiable ?

Je n'ai pas d'avis sur la question.

 

Ne va-t-il pas "tuer" le cyclisme si son ultra domination dure dans le temps ?

On verra bien (sourire).

Publié le par Nicolas GAUTHIER

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